Laran est simple. Pas dans un sens péjoratif cependant, mais bel et bien dans la définition première du terme ; elle n’est pas difficile à décrypter au premier coup d’œil. Ses émotions sont facilement discernables sur son visage. Quand elle rit, elle rit franchement, quand elle pleure, elle chiale, quand elle est en colère, elle braille. Rien de très folichon en somme ; Laran se comporte comme toi et moi, adoptant des réactions cohérentes aux événements du quotidien. Sauf quand elle est excitée. Là, c'est plus difficile de se contenir, on dirait une vrai gamine dans un magasin de chatons. Parfois aussi, elle a du mal à proportionner ses réactions, versant dans l'excès ou mettant les deux pieds dans le plat. Un brin de maladresse sociale.

De toute façon, avec elle, pas de chichi, de complot tordu, de jeu d’acteur ou de dissimulation, elle est garantie nature, sans pesticide, colorant, ou arôme artificiel. De fait, tu te doutes que de visu, la mage n’est pas une personne très compliquée à aborder. Accessible, tu es assuré de ne pas te prendre directement un gros vent si d’aventure tu cherchais un pigeon pour t’indiquer le chemin. Bien au contraire, tu auras affaire à une demoiselle aimable, sympathique, qui n’hésitera pas en prime à abandonner ce qu’elle était en train de faire, sauf impératif, pour te servir de guide. En fait, elle est sociable, du style à entamer la conversation avec n'importe qui.

Généralement, on la décrit comme agréable, qui n’a pas l’air de se prendre la tête sans pour autant verser dans la désinvolture. Tu la verras toujours débouler avec un grand sourire sur le visage, motivée pour la journée à venir à croire que la fatigue n’a aucune emprise sur sa bonne humeur. Très enthousiaste, elle se réjouit d’un rien. Elle voit un chat passer dans la rue, elle est contente. Elle mange un cookie en compagnie de Lala en se promenant dans les halles d’Hotei, elle irradie. Elle se coupe avec une feuille de papier … Bon, là, non, on va pas exagérer ; même un grand guerrier ne parviendrait à éprouver de la joie devant cette effroyable épreuve.

Si on devait résumer Laran, on la rangerait donc dans la catégorie des personnes positives pour ton karma. Bien sûr, il ne faut pas en déduire que l’exploratrice en chef est un bisounours qui ne se bornerait qu’à faire preuve d’un optimisme ridicule comme si tout allait toujours pour le mieux. Laran a les deux pieds sur terre en général, elle sait que tout n’est pas rose et que le pouvoir de l’amour et de l’amitié sont rarement des armes efficaces dans une baston de rue. Garde toujours à l’esprit le premier constat : Laran n’est pas simple.

Parfois, tu pourrais avoir le sentiment inverse. Face à certaines situations, elle peut faire preuve d’une naïveté presque touchante, encore peu expérimentée sur le terrain. Mais Lala veille. Lala n’hésite jamais à la remettre dans le droit chemin lorsque Laran se complaît à ignorer son réalisme coutumier. Dans cette hypothèse, Laran ne persiste jamais dans son attitude. Elle écoute beaucoup l’avis des autres avant de trancher et, parmi toutes les recommandations, celles de Lala tombent rarement dans l’oreille d’un sourd. D’une manière générale, la mage est donc profondément réfléchie contrairement à l’impression de candeur qu’on lui colle sur le front à tord. Être volontaire et dynamique ne signifie pas nécessairement se montrer impulsif, quitte à faire n’importe quoi dans le feu de l’action. Laran a beau être très énergique, elle a la tête sur les épaules. Elle a surtout conscience des responsabilités qui lui incombent, ce qui réfrène drastiquement ses ardeurs. A ce titre, elle pèse toujours le pour et le contre de chaque décision avant de se prononcer.

En fait, on pourrait presque dire qu’elle a trop conscience de ses responsabilités pour son propre bien. Sous son apparence d'imperturbable boule d'énergie, Laran est une stressée de la vie, anxieuse à l'idée d'échouer. Tonton lui a donné les moyens d'atteindre son niveau actuel, elle ne voudrait pas le décevoir ou lui faire honte. Il suffit de généraliser le constat précédent pour obtenir le tableau dans son entièreté : Laran a peur de décevoir. Le jugement d'autrui l'inquiète, elle a besoin du regard approbateur des autres constamment. Elle voudrait plaire à tout le monde, faire l'unanimité. Malheureusement, elle sait très bien que sa position actuelle ne lui permet pas de faire consensus. Certains la traite de gamine inexpérimentée, d'autres voient d'un mauvais œil son lien avec le gouverneur de l'Est vis à vis de l'indépendance des explorateurs, voire, l'accusent d'avoir été pistonnée pour accéder à sa place. Toutes ses rumeurs affectent Laran bien plus qu'elle le laisse penser. Ce genre de critique la blesse profondément, pour la simple et bonne raison qu'elle n'a pas confiance en elle. Si elle paraît réfléchie, c'est justement parce qu'elle doute de ses décisions en permanence. Souvent, Lala lui dit de choisir la solution qui permettra le plus grand bien pour le moindre mal. L'ennui, c'est que Laran voudrait exclusivement le plus grand bien pour aucun mal, ce qui est rarement possible. Le mieux est l'ennemi du bien ; à trop vouloir en faire, parfois, Laran a risqué plus d'une fois la bérézina.

Lala corrige le tir en cas de problème. La raison pour laquelle leur duo fonctionne si bien réside dans l'équilibre. Quand Laran se montre trop nerveuse, Lala se force à afficher une décontraction proche du j'men foutisme. Le manque de confiance de la mage est compensée par l'arrogance de Lala. Elles se tempèrent mutuellement pour, au final, parvenir à un juste milieu. Elles ne sont pas des amies identiques, mais complémentaires, raison pour laquelle elles ont eu un peu de mal à s'apprivoiser au départ mais que leur lien est devenu si fort maintenant qu'elles se connaissent. D'ailleurs, c'est grâce aux moqueries de Lala que Laran s'est bâtie un solide sens de l'autodérision qui lui évite de montrer qu'elle est blessée face aux commentaires des autres. D'autant que Lala connaît la limite et évite les boutades sur les sujets trop sensibles. Titiller, oui, faire du mal à Laran, non. Leurs plaisanteries quotidiennes restent raisonnables et ont permis à Laran de ne plus montrer explicitement son attachement à ce que pense les autres d'elle. Quand on lui sort qu'elle est favorisée, elle rigole et répond qu'au moins, elle n'est pas passée sous le bureau de son oncle. Évidemment, sous cette apparence, le commentaire l'atteint et la blesse profondément. Mais au moins, elle ne le montre plus aussi souvent. Elle intériorise énormément ses émotions négatives, ce qui, à terme, conduit à une accumulation nocive qu'elle peine à gérer.

La tâche qui l'attend l'effraie, elle ne se sent pas à la hauteur. Mais cette crainte n'est pas tout le temps négative dans la mesure où elle lui permet de faire preuve de courage dans les moments nécessaires. Dire que l'exploratrice ne craint rien ni personne est une erreur grossière ; c'est justement parce qu'elle a peur qu'elle parvient à faire preuve de courage. Ceux qui ne craignent rien sont dangereux pour les autres. Justement, elle n'a pas peur d'avouer sa peur, ce qui lui permet de la surpasser lorsqu'elle affronte un danger. Par ailleurs, avoir la frousse de temps à autre ne lui enlève en rien sa curiosité naturelle.

Laran adore tout savoir. Que ce soit les potins, les rumeurs, les légendes, les mystères ... L'inconnu ne l'inquiète pas, au contraire, il lui donne envie d'en apprendre plus. C'est la raison pour laquelle elle souhaite descendre en bas malgré le danger d'une telle expédition. Elle a envie de savoir juste pour le plaisir de savoir. Alors, elle se donne les moyens d'y parvenir. Il ne faut pas croire qu'elle est arrivée à sa place exclusivement sous la recommandation de tonton. Elle a travaillé, durement, pour atteindre son niveau. Quand elle a un objectif, elle se donne les moyens d'y parvenir. Particulièrement impliquée dans ce qu'elle entreprend, elle se donne à 200% dans un projet, mettant en œuvre une persévérance et une obstination proches du ridicule. Par contre, quand elle n'est pas motivée ... Bah, elle n'est pas motivée. Flemme. Du coup, elle râle, elle traine des pieds.

D'accord, tout à l'heure, on l'a vendue comme une indécrottable enjouée. On va désormais nuancer un brin ce premier bilan en ajoutant un généralement. Des fois, Laran n'a pas envie, des fois, ça la saoule. Genre, les maths quand elle était à l'école. Certes, elle est volontaire, gaie, curieuse etc. Mais les maths, pas moyen. De toute façon, quand c'est trop théorique ... On la perd directement.

« Je ne vais pas être à la hauteur. »
« Vu ta taille, t'es pas à la hauteur de grand chose de toute façon.»

Laran explosa de rire à la boutade de Lala. Dès qu'elle doutait, Lala avait toujours le mot pour la détendre, un véritable talent. Franchement, l'exploratrice ne savait pas ce qu'elle ferait sans sa Gardienne. C'était sa besta, sa sista, son soutien, son réconfort, son chien de garde parfois. La dernière fois qu'un type avait osé l'insulter, il s'était retrouvé avec une grosse pierre sur son chemin qui avait malencontreusement provoqué sa chute quand il avait tourné les talons. Laran avait ri en jetant un coup d'œil soupçonneux vers Lala qui s'était contentée de hausser les épaules. Si elle condamnait la méthode, elle devait admettre que l'assistance de la malicieuse créature lui mettait du baume au cœur dans les moments difficiles. Quoiqu'il arrive, elle pourrait compter sur elle. Depuis toujours et jusqu'à la fin.

Assise sur un tabouret devant une imposante porte close, Laran tentait tant bien que mal de garder son calme. Aujourd’hui, elle serait annoncée comme l’exploratrice en chef, celle à qui il reviendrait l'épineuse tâche de gérer les groupes d'explorateurs pour un éventuel voyage vers le bas. Un véritable aboutissement pour toutes ses années de labeur. Pourtant, elle était morte de trouille. Dans cette salle, des gens l’attendaient au tournant. Ils allaient la détailler de haut en bas, la juger, dénoncer son jeune âge, bref, grosse ambiance en perspective. Lala, allongée sur une banquette de tout son long, avait l’air beaucoup plus détendue. Laran savait qu’il n’en était rien en vérité, elle devait être au même niveau de stress toutes les deux. Disons simplement que Lala savait tout dissimuler derrière un masque avec habileté et, surtout, qu’elle ne voulait pas empirer l’anxiété de Laran avec ses propres angoisses. Alors, elle se cachait derrière sa désinvolture coutumière, comme si elle allait au marché.

Avant de rencontrer Lala, Laran n'était pas une gamine très épanouie. Elle se contentait de subir ce qui lui tombait sur le museau, sans broncher. Son oncle l'avait prise sous son aile au décès de ses parents, vers quatre ans ou quelque chose comme ça. Tonton était présagé pour devenir gouverneur de l'est à l'époque, rien que ça. Proche de son frère, le père de Laran, il avait consenti à récupérer la petite fille à sa disparition brutale.

Un soir, elle était tranquillement planquée dans sa forteresse de peluches en attendant le retour de ses parents. Tapie, elle patienta toute la soirée sans bouger d'un pouce. Ses parents rentraient toujours tard. Ils étaient agriculteurs, mais, en vérité, leur travail se résumait davantage à de la gestion et du commerce sur leur gigantesque propriété. Elle avait attendu, et puis, d'un seul coup d'un seul, un type qu'elle ne connaissait ni d'Eve, ni d'Adam avait déboulé et l'avait emportée avec quelques affaires. Le pourquoi du comment, sur le coup, elle n'en sut rien. Elle se contenta d'obtempérer puis se retrouva devant tonton Liafail. Elle l'aimait bien, il était marrant à sa manière et très gentil avec elle. Quand il lui annonça que désormais, elle allait vivre avec lui, Laran avait été particulièrement mitigée. De là à rester H24 avec lui ... Franchement, elle préférait ses parents. Mais ses parents ne reviendraient plus lui avait-on annoncé avec douceur. Tonton Lia tenta tant bien que mal de lui expliquer qu'un accident s'était produit alors que ses parents étaient partis vérifier le bon déroulé des cultures sur une grande parcelle près du bord. Une créature étrange avait surgi et, malheureusement, le temps que la garde intervienne, ils n'avaient pas pu s'en sortir.

Ah. D'accord.

Laran ne parvenait pas forcément à comprendre, voire, se sentait responsable de leur disparition.

Elle commençait à se convaincre que tout était de sa faute. Si elle les avait accompagnés, si elle avait été puissante, elle aurait pu les sauver. Alors, elle avait dit à son oncle qu'elle ne voulait plus être faible, qu'elle ne voulait plus s'enfuir et protéger les autres. Ses paroles ne tombèrent pas dans l'oreille d'un sourd. A ses six ans, il la prit au mot et lui colla un bâton dans les mains avant de lui confier une pierre fort jolie. A peine la petite fille avait-elle saisi le minerai, très impressionnée par sa taille, que celui-ci s’était transformé sous ses yeux une fois qu'elle avait répondu à la petite voix dans son esprit. Une créature humanoïde se matérialisa sous le regard médusé de Laran tandis son oncle ne parvenait pas à dissimuler un rictus appréciateur.

« Ala, ala ~ Qu'avons-nous là ? Oh, une demi-portion. Je ne fais pas dans la garde d'enfant, mais soit. Appelle-moi Lamia. » déclara l’entité un brin dédaigneuse avec bâillement.
« Lala ! »
« Lamia je viens de te dire. »
« Lala. »
« Une capacité de réflexion proportionnelle à sa taille visiblement. Lamia. »
« Lala. »

Ceci n’est qu’un bref extrait de cette longue conversation surréaliste qui se déroula dans la propriété du futur gouverneur de l’Est. Laran n’était qu’une gamine à l’époque, elle n’avait pas conscience des implications de cette rencontre. Elle n’y voyait qu’une opportunité féerique de se faire une amie, comme dans les contes, elle qui souffrait d’une certaine solitude depuis le décès de ses parents. Bien sûr, tonton veillait à son éducation, elle connaissait les mages et ce qu’ils étaient capable de faire. Par contre, elle ne réalisait pas encore qu’elle venait de sacrifier la moitié de sa vie sans même s’en apercevoir, ni y avoir consenti d’ailleurs.

Ainsi donc débuta sa longue collaboration avec Lamia surnommée Lala contre son gré à cause d’un malheureux tic de langage. Particulièrement bornée, Laran campa sur ses positions jusqu’au bout et, au final, Lala finit par s’accommoder de son petit nom, première étape de la construction de leur amitié. De son côté, le gouverneur ne perdait pas le Nord, ou plutôt, l’Est dans son cas ; il n’avait pas confié cette Eärendil juste pour le plaisir d’offrir une babiole à sa nièce chérie. Il comptait bien lui rappeler ses paroles : elle lui avait affirmé qu’elle ne voulait plus souffrir de sa faiblesse, eh bien, il allait lui offrir l’opportunité de parvenir à son objectif. Lala était le premier échelon de sa stratégie. Le jour d’après, il invita dans sa propriété un maître d’arme auquel il confia le duo qui cherchait ses marques. Lala avait un esprit vif, aiguisé, et se targuait d’être une Gardienne puissante ; devoir jouer la baby-sitter ne l’enchantait nullement. Pour sa part, Laran était surexcitée à l’idée de se faire une nouvelle copine. Elles se retrouvèrent toutes deux devant Serah, le fameux maître d’arme vétéran de l’armée mais, surtout, une des premières exploratrices autoproclamée particulièrement talentueuse qui travaillait désormais en freelance avec son Gardien Gaal.

Serah ne fit aucun cadeau à Laran. Au fil des années, Laran frappa inlassablement avec son bâton dix fois trop lourd pour ses petits bras sur le même mannequin. Elle courut des kilomètres les chevilles lestées. Elle mordit la poussière un nombre incalculable de fois. Les mêmes gestes, encore et encore, les mêmes exercices physiques dont la difficulté s’accrut en même temps que son âge. Sa collection de bleus et blessures en tout genre aurait pu être répertoriée dans le livre des records. Elle lui fit subir un entrainement rigoureux, parfois injuste.

Plus d’une fois, Laran voulut tout plaquer, exténuée, avant de s’endormir après avoir pleuré toutes les larmes de son corps. Mais elle n’avait pas le droit d’abandonner. Une telle attitude aurait été un nouvel aveu de faiblesse qu’elle ne pouvait tolérer. En plus, elle aurait déçu son oncle qui l’avait si gentiment recueillie. Elle n’avait pas d’autres choix que de persévérer même si en rentrant de l’école, elle savait que sa journée n’était pas terminée contrairement aux autres et qu’elle allait morfler le soir venu. Lala constitua un soutien morale inattendu durant toutes ces années de dur labeur. Au début peu coopérative, la détermination grotesque de Laran l’impressionna et, petit à petit, elle se laissa séduire. Peut-être que cette gamine n’était pas une cause perdue au fond. Elle se mit à discuter plus fréquemment avec elle, à la conseiller parfois, à la découvrir souvent. Leur complicité se construisit au fur et à mesure, doucement mais sûrement.

Parallèlement, Laran rencontrait le sol de moins en moins souvent ; souple, élancée, et, surtout, rapide, le travail de façonnage commençait à porter ses fruits. D’après Serah, rien ne servait de miser sur la force brute quand on était une femme. Il fallait utiliser sa tête plus que ses muscles, sa vivacité plus que sa puissance. Laran avait intégré la leçon par son travail acharné. Le couronnement de ses efforts individuels se concrétisa dans le même temps que celui de son duo avec Lala. Elles commençaient à se comprendre, à s’apprivoiser, et, de fait, leur collaboration donnait enfin des résultats intéressants. Leur lien était fort, mais Lala demeurait méfiante ; si elles s'entendaient à merveille, sa besta sentait bien qu'elle n'avait pas encore gagné parfaitement la confiance de sa Gardienne qui s'estimait toujours un brin supérieure. Elle avait beau apprécier Laran, quelque chose clochait. Briller à l'entrainement était une chose. Par contre, sur le terrain, le Gardienne doutait des compétences de sa partenaire.

Ses inquiétudes se renforcèrent lorsqu'elles furent dépêchées à la périphérie d'Eriu. Un mage fou furieux avait été repéré et le gouverneur fraichement nommé s'inquiétait des méfaits de cet individu qui incendiait les champs. Lorsqu'elle entendit parler de l'affaire, Laran se proposa spontanément pour résoudre le problème. Elle pensait que cet évènement lui offrirait la possibilité de faire ses preuves ; face à son argumentaire, le gouverneur finit par céder et l'envoya dans les plaines de Nuada rejoindre la garde sur place. Après quelques jours d'enquête en leur compagnie, Laran se retrouva nez à nez avec un mage complètement taré qui semait le chaos dans région pour le bonheur d'emmerder son monde. Un illuminé qui braillait que l'Apparition allait de nouveau frapper incessamment sous peu pour tous les anéantir.

Laran et Lala comptait bien utiliser cette occasion pour mettre en œuvre leur enseignement. Lors de la traque, les unités à la recherche du forcené se divisèrent pour le dénicher. L'équipe Laran - Lala (surnommée Larla-didadada par Laran) fut la première à tomber sur l'homme et son Gardien et entreprirent alors de l'immobiliser. L'affrontement fut brutal. Laran matérialisa son énorme faux qu'elle parvenait cependant à manier avec une fluidité hors pair. Elle l'envoya vers l'homme qui l'esquiva avec facilité. Lala, d'un geste, fit revenir l'arme férocement dans son dos comme un boomerang. Le Gardien adverse s'interposa. D'une gerbe de flammes concentrée, il dévia l'arme de sa trajectoire. Lala lui envoya une énorme bûche en plein dans la face tandis que Laran, de son côté, arracha sa faux plantée dans le sol pour ensuite, croiser le fer avec l'individu.

Les coups s'enchaînèrent rapidement jusqu'à ce que le duo parvienne à assommer le renégat qui valdingua dans le décors. Mais ce coup d'éclat brillamment construit par l'équipe fut de courte durée lorsque Laran vit une grosse épée à deux mains fondre vers Lala. Sa capacité de réflexion fut aspirée par un trou noir. Elle courut vers son amie comme une dératé. Lala ne faisait pas attention, elle était occupée à coincer l'homme sous un enchevêtrement de pierres et de bûches qu'elle manipulait avec aisance. Si elle se prenait l'épée à cette vitesse, elle volerait en morceau. Laran ne voulait pas que sa meilleure amie perde tous ces beaux souvenir qu'elles avaient forgés ensemble. Le week-end camping près du lac sucré. Le repas avec Isley. La tentative d'habiller Lala avec une robe à froufrou. Manger une glace aux halles d'Hotei. Lire des romans à l'eau de rose en cachette sous leur couverture. En une fraction de seconde, tous ces petits évènements du quotidien qui l'avait rendue si heureuse allait s'évaporer parce qu'elle était trop faible. Comme d'habitude.

Elle fit un plaquage à Lala avec la force du désespoir.

La suite fut pour le moins confuse, et, surtout atrocement douloureuse. Souffle coupé. Elle baissa les yeux et vit la lame du côté de son ventre. Alors qu'elle l'avait sentie frapper dans son dos. Ses genoux tremblèrent puis cédèrent. Et puis, tout à coup, plus rien.

Ah si. La désagréable petite voix de Lala écumant de colère deux jours après.

« Ne refais plus jamais ça. PLUS JAMAIS. Tu t'es prise pour quoi ?! Une héroïne ?! Recommence une seule fois et je te défonce, petite conne. Pigé ? »
« Moi aussi je suis contente de te retrouver Lala. »

Lala explosa en pleurs et se jeta dans les bras de Laran qui sentait les larmes lui monter. Sous le coup de la colère après avoir vu son amie se faire toucher pour la protéger, la Gardienne avait déraciné un arbre gigantesque de trente mètres par la seule force de son esprit qu'elle avait abattu à plusieurs reprises sur leur opposant, continuant à frapper alors même qu'il avait volé en éclat depuis longtemps. Les renforts arrivés quelques secondes après l'incident l'avait décrite comme effrayante. Bestiale même. Mobilisant une puissance telle qu'ils n'avaient pas osé l'approcher avant qu'elle ait déchargé sa rage. Pendant la convalescence de Laran, Lala ne la quitta pas d'une semelle et ne cessa de la menacer de lui refaire le portrait si elle tentait de nouveau de se prendre pour un héros. Au fond cependant, Lala était profondément touchée du sacrifice de sa meilleure amie. Elle qui avait toujours craint de n'être qu'un outil courtisée pour sa puissance, elle s'aperçut par ce geste que Laran la considérait véritablement comme un être cher, à part entière. A partir de cet instant, elle lui accorda son entière confiance et leur puissance ne fit que s'accroître au prix d'une entaille dégueulasse démesurée sur plus de la moitié de son dos et sur tout son flanc gauche à l'avant. Elle avait eu énormément de chance de s'en être sortie. A quelques centimètres près, elle aurait pu mourir.

Quelques mois plus tard, Laran parvint à toucher pour la première fois Serah suite à un enchaînement particulièrement astucieux avec Lala. Son oncle lui accorda enfin un peu de crédit (honnêtement, au départ, le manque d'adresse de Laran lui avait fait peur). Il lui apprit même à tirer avec une arbalète, même si, dans le domaine, il lui restait bien supérieur. En fait, d'une manière générale, il la fit participer de plus en plus à ses activités. Quand il se déplaçait pour rencontrer tel notable, il la traînait avec lui. Quand il s’intéressait à la gestion de la garde de sa province, il la prenait aux réunions et lui expliquait ses décisions. Parfois – souvent en fait -, Laran ne comprenait pas grand-chose ; c’était Lala ensuite qui comblait ses lacunes.

D'ailleurs, à sa nomination, lorsqu'il dut rencontrer Isley officiellement, il la traîna avec lui. Sa nièce fit alors la connaissance d'Isley avec qui le courant est tout de suite passé. Plus le temps passait, plus Laran commençait à appréhender les rouages du système qu’on lui présentait. Vers ses seize ans, son oncle la laissait directement participer au processus décisionnel dans certains domaines, notamment la gestion des explorateurs - ce qui comprenait majoritairement du recrutement et des tests en vue de composer une équipe douée afin d'envisager une expédition. Bien entendu, ce choix n’était pas anodin. Tonton avait tout savamment calculé depuis le départ, ce petit filou, et ça, ça plaisait pas des masses à Lala. Elle avait l'impression d'avoir compris son petit manège et l’idée que Laran lui serve comme un vulgaire outil pour nourrir ses ambitions la dérangeait terriblement. Elle avait le sentiment que tonton Lia avait construit Laran comme il l'avait désirée pour ensuite, l'utiliser comme il le voudrait. Évidemment, la concernée ne voyait pas les choses sous cet angle. Elle l'aimait son tonton, et lui était infiniment reconnaissante pour ce qu'il avait fait pour elle. C'était presque un deuxième père.

« A ton avis, pourquoi il prend tant à cœur ton instruction ? » lui avait un jour sorti Lala de but en blanc.
« Pour le plaisir de ma compagnie …? Oh, non, mon humour ravageur !  »
« Surtout pas ton humour, justement. Il veut te faire grimper dans la hiérarchie. »
« Je me doute bien que le fait qu’il tente de me rapprocher des explorateurs ne soit pas parfaitement innocent. » soupira Laran.
« On ne devrait pas se laisser faire, persifla Lala, tu n’es pas une pièce d’échec. On devrait retourner son enseignement contre lui pour faire ce qu’il nous plaît. »
« Justement, ça me plaît. J’ai envie de devenir exploratrice. »
« Ala, ala ~ Comme c’est mignon, elle veut devenir aventurière. »
« Héééé, ne te moque pas ! Je veux qu’on protège les gens de ce qu’il y a en bas, déjà, mais, surtout, je veux qu’on y aille toutes les deux. Tu imagines tout ce qu’on pourrait trouver … Peut-être des grooos trésors ! Ou une technologie perdue qui changera la face du monde ! »
« Ou la mort. »
« Aussi. Mais on ne peut pas savoir tant qu’on n'y aura pas été. »
« En faisant ça, tu entres dans le jeu de tonton. C’est précisément ce qu’il veut que tu penses, comme ça, si tu remontes ici, tout sera pour lui. »
« Il faut bien que je le remercie pour ce qu’il a fait pour moi de toute façon. Et puis, il n'est pas comme ça. C'est pas un manipulateur, il oserait quand même pas. »
« Hmmm, si tu veux le remercier de t’avoir offerte à vieille folle qui t’a tatané la gueule alors que tu tenais à peine debout, ouais, c’est la bonne méthode. »
« C’était pas si terrible. »
« Lalaaaaaa, j’en ai maaaaarre. S’il te plaîîîîît, je veux plus y aller, aaaaide-moi. »
« Roooo, t’abuses. J’étais pas comme ça. »
« A peine. »
« Laraaaaaan, tu as vu comment elle m’a traité ?! Elle a dit que j'étais un gnome ! UN GNOME ! Tu te rends compte ?! C'est intooooolérable ! UN SCANDALE ! » Laran plaqua le dos de sa main sur son front.
« J'étais pas comme ça ! »
« A peine.»

Elles éclatèrent de rire de concert. Tonton Lia était un des rares points sur lequel les deux amies peinaient à s'accorder. Laran l'adorait, le trouvait trop cool et incroyable. Lala ne le percevait que comme un vil manipulateur qui n'attendait que de leur mettre bien profonde un jour. Son pressentiment se renforça lorsque le gouverneur leur annonça son ambition de placer Laran à la tête des explorateurs, pour à terme, organiser une descente. La concernée fut particulièrement décontenancée par cette nouvelle. Elle ne se sentait pas prête pour une telle tâche. Elle n'était encore qu'une gamine qui avait tant à apprendre. Pour tonton en revanche, le talent de Laran n'était plus à démontrer ; au cours des deux dernières années, elle n'avait cessé de gagner en puissance, et, depuis l'incident qui avait entériné son amitié avec Lala ainsi que d'autres péripéties sur le continent, elles étaient aussi soudées que deux sœurs.

Vint enfin le grand jour, celui où on allait l'officialiser à la tête des explorateurs. Devant cette fichue porte, dans cette salle où on allait l'assaisonner. Trop jeune, inexpérimentée, une gamine. Elle savait déjà toutes les remarques qui allaient se chuchoter là-dedans. Au fond, ils n'avaient peut-être pas tord. Elle avait travaillé dur jusqu'ici, elle avait sué sang et eau pour parvenir à son niveau actuel. Encore aujourd'hui d'ailleurs, elle continuait chaque jour à s'entretenir pour perfectionner sa maîtrise. Mais parmi les explorateurs, certains justifiaient d'une expérience trente fois plus impressionnante que la sienne. A côté, elle devait ressembler à une petite fille tout juste bonne à faire mumuse avec ses peluches.

« Tu mérites ta place. » reprit Lala, comme si elle sentait la tension de la mage.
« J'ai été pistonnée par tonton. »
« Non. On a travaillé dur. Je suis puissante, et tu l'es aussi. »
« Et s'ils ne m'aiment pas ? »
« Ala, ala ~ Chérie, ils ne vont pas t'aimer, ils vont t'a-do-rer. »
« J'ai tellement envie de pisser. »

Sur cette terrible révélation d'une importance capitale, la porte s'ouvrit en grand et Tonton Lia lui fit signe d'avancer. Remontée, Laran se leva d'un bond et s'avança très déterminée vers l'estrade. Sa carrière de chef des explorateurs débutait aujourd'hui. Elle n'avait plus le droit d'être faible.

Un an plus tard, Laran était devenu une cheffe appréciée par la majorité des explorateurs. Comme il fallait s'y attendre, certains n'admettaient pas qu'elle gère les groupes, et encore moins son lien familial avec le gouverneur de l'Est, signe qui démontrait pour ses détracteurs que le métier d'explorateur allait se politiser, y percevant même une menace pour l'indépendance de la profession. Peu importe au fond. Tout ce que Laran voyait, c'était la possibilité du voyage vers le bas qui se concrétisait grâce à l'organisation de son équipe. Bientôt.