Gaius

Majoris. J'ignorais quels étaient mes véritables sentiments vis à vis de cette région. La chaleur qui y régnait m'était inhabituelle, déplaisante sous ce long manteau blanc. Néanmoins, il y avait un bourdonnement d'activité, de vie, qui ne se trouvait guère en Falias. Un petit quelque chose qui attirait mon regard, qui me rendait curieux de la vie des gens, de ce qu'ils pensaient de la religion à laquelle se dévouait Melodia avec tant de ferveur. En cela, je comprenais pourquoi les parents de cette dernière avaient tenu à l'éloigner de ce centre névralgique, là où la modernité permettait le questionnement, l'envie de découverte. Ce que je ne comprenais guère, néanmoins, c'est qu'elle s'entête à vouloir leur rendre visite, qu'elle soit reconnaissante du choix qu'ils avaient fait. J'étais à ses côtés, dans ses jeunes années, lorsque sa famille lui manquait, lorsqu'elle se sentait seule et isolée. J'avais maintes fois été aux premières loges pour constater toute la douleur que cet exil lui avait fait subir. Mais elle était trop gentille, avait le pardon trop facile. Tout ce qui lui importait était que sa famille soit soudée, quitte à mettre ses sentiments de côté. Ce faisant, j'avais accepté de l'escorter durant le voyage, mais m'étais éclipsé presque aussitôt arrivés à destination, n'étant pas d'humeur à endurer pareil spectacle. Bien sûr, j'étais conscient que cela la blessait. Melodia aurait été si heureuse de voir ses parents et son gardien, son prétendu frère, réunis tous ensemble dans la bonne humeur et la foi. Une satisfaction que je n'étais pas près de lui offrir. Elle devait grandir, comprendre que tous ne pouvaient adhérer à sa façon à elle de voir le monde et que, peut-être, elle gagnerait à cesser d'être susceptible pour mieux commencer à s'intéresser à d'autres points de vue.

Mais qu'importe. Je ne pouvais rien faire de plus sinon déambuler dans les rues, croisant le regard de très peu de gens. Je voyais ce voyage en Majoris comme une opportunité. Je devais en tirer le meilleur, à ma façon. Certes, je ne m'imaginais guère avoir la chance de croiser un explorateur ou d'apprendre de nouveaux concepts comme ça, sur le tas, dans le quartier des artisans de Majoris. Mais j'aimais croire qu'il suffisait d'être attentif aux opportunités qui se présentaient à nous. Et je ne croyais pas si bien dire. J'avançais à un rythme convenable, cherchant sans savoir ce que je cherchais, lorsque je repérai une drôle de scène. Non pas amusante, mais bien décalée de la norme. Une jeune femme seule se faisait accoster par deux individus et qui, vu sa réaction, ne semblait pas les connaître ou même avoir envie de les connaître. Maintenant que j'avais vu ces deux énergumènes se lancer dans leur petit manège, il m'était impossible de simplement tourner le dos sans réagir. Mon honneur ne m'aurait pas permis un tel comportement, plus par principe que par quelconque intérêt pour la demoiselle. J'étais d'avis que, même sans porter la foi en son coeur, il était tout à fait possible de présenter les bonnes valeurs et d'être un individu vertueux. Enfin, lorsque ça n'allait pas en ma défaveur, bien sûr.

« La demoiselle vous a posé une question. Vous avez besoin d'aide pour retrouver votre chemin peut-être ? » Avais-je demandé d'une voix forte, les bras croisés, le dos appuyé de manière nonchalante contre un mur. Bien sûr, mon épée était bien en vue, accrochée à ma ceinture. Si j'étais trop confiant pour être inquiété par ces petites pointures, je n'en étais pas moins prêt à les renvoyer chez leur mère en larmes si nécessaire. Puis il fallait voir les choses du bon côté : j'aurais peut-être l'occasion de me défouler un peu.

Gaius

Fière, la demoiselle qui semblait en mauvaise position s’empressa de me corriger, demandant à être appelée Madame. La mention me laissa de marbre, ne changeant au final pas grand-chose. Mes priorités étaient ailleurs, pour des raisons qui me paraissent évidentes. Le duo n’était d’ailleurs pas en train de se calmer vu qu’ils invectivaient la dame d’un langage ordurier qui n’inspirait rien de plus que du dégoût. Clairement ils n’impressionnaient aucun de nous deux, mais ça ne les empêcherait pas de se ridiculiser au passage. Comprenant, un peu sur le tard, que cela ne suffirait pas, l’un d’entre eux entrepris de sortir une dague. Cette fois je fronçai les sourcils, posant la main sur la poignée de mon épée pour me préparer à intervenir. Néanmoins, c’était sans compter sur la bleue qui en profita pour faire une petite démonstration de magie. Comme quoi.

Je sentis son regard se poser sur moi, mais me contentai d’esquisser un sourire et d’attendre. J’avais face à moi une autre gardienne, ce qui signifiait qu’elle devrait normalement s’en sortir toute seule, ce qui semblait d’ailleurs être son souhait. Pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour être curieux et découvrir le pouvoir d’une de mes semblables ? Certes, ce serait au détriment de la santé de ces deux individus, mais ils l’avaient un peu cherché. Une pensée avec laquelle Melodia ne serait guère d’accord, assurément. Même quand elle n’était pas là je pouvais sentir son regard azuréen me faire la morale, tenter de m’inculquer de force ses valeurs d’acceptation et de pardon. Si c’était elle qui s’était fait accostée de la sorte, il n’y aurait eu aucun pardon possible. Dans l’immédiat, toutefois, c’était assez pour me faire revoir ma position. Avec un peu de chance je n’aurais pas à intervenir directement et leur lâcheté les préserverait du pire.

« Si vous avez de la chance, vous en ressortirez peut-être avec de simples cloques d’eau. Si ce n’est pas le cas, par contre… Vous avez déjà regardé un poulet griller ? Ça me donne toujours faim. Malheureusement on dit que la chair humaine en flammes a mauvaise odeur. Je suppose que je serai bientôt fixé. » Désemparés, les regards du duo passaient de la bleue à moi et inversement. L’un deux me cria même de me taire, sans grand succès. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne tournent les talons et prennent leurs jambes à leur cou. Ils passèrent devant moi, mais je n’esquissai pas un mouvement pour les arrêter. Il ne me revenait pas la charge de les livrer à la justice. Tant qu’il n’y avait pas eu de blessés j’étais satisfait, surtout qu’ils apprendraient peut-être de cette petite expérience. Nonchalant, je quittai mon point d’appui et nettoyai sommairement, de la main, mon long manteau blanc. Je détestais le voir prendre la poussière. Je me préparais moi aussi à partir, ne voyant plus de raisons de rester sur place maintenant que je m’étais privé de mon occasion d’admirer la magie d’un autre gardien. Mais la dame bleue serait-elle du même avis ou me retiendrait-elle ?