Song - the devil within.La grève est loin,C’est une idée étrange mais elle te martèle le crâne,
bam bam ; la phrase résonne comme la voix candide et oiseuse d’une petite fille de conte, c’est une histoire lissée par le crépuscule, accompagnée par le mouvement des flots ;
La grève est si loin, que tu te répètes une fois alors qu’une nouvelle pulsation envoie ton cœur par-dessus bord. Vous aviez quitté le port, les lumières s’étaient lentement effacées à l’horizon ; les rouges s’étaient éteints eux aussi mais demeuraient sur une ligne fine quelques nuances de rose et d’orange, comme si l’idée du monde se refusait à s’estomper totalement,
La grève est loin, mais le navire n’aurait jamais dû bouger.
Pourquoi sommes-nous ici ?
En plein milieu de l’océan, je veux dire ?
Pourquoi sommes-nous ici ? Le Gold n’aurait-il pas dû rester au port ?Une pulsation encore et les mains se chainent aux cris, les gorges s’ouvrent, les lèvres se font désireuses, chrétiennes ;
Vous tanguez.
Vous valsez.
Vous vous brisez.
Et toi Azalys, oh Azalys,
Tu t’accroches, Azalys.
Tu t’agrippes, tu tires à toi toutes les trames du monde, les monstres et les étoffes délicates des coiffes des femmes (tout n’est que sel entre tes doigts), tu cherches des odeurs familières, une certaine notion du temps qui n’est que secondes – puis heures, puis éternité –, tu essaies de saisir ce qui ne se saisit pas, de comprendre des idées sans en posséder la source ;
Tu respires. Lentement. Faiblement, comme un oiseau qui ne serait pas tout à fait vivant mais pas tout à fait mort non plus. Calcinées tes lèvres. Incapables de parler alors que tout ton être lutte contre les pulsations du navire, que tu sens l’Autre grimper sur son corps, s’établir sur ses reins ;
S’é g r e n e r.Tu avais toujours fait comme ça Azalys, tu es prompt à l’effacement, ton âme en apparence rêveuse s’étiole facilement, se défait – il n’y aura en toi plus aucune pensée ni songe d’étoile – pour laisser place à un enfant cruel, un être désillusionné ; qui manipule les ombres comme il pourrait manipuler les vies humaines, tant qu’il ne s’agit pas de la sienne.
Tu
le connais – il te prend toujours lorsque la situation devient dangereuse ;
Tu
le nommes Autre – c’est plus facile, mais il ne s’agit rien de plus qu’un éclat de toi.
Ce genre d’éclats que l’on dissimule derrière des carnes et des sourires, une émotion constituée à moitié de joyaux et à moitié de ténèbres – mais de deux moitiés pas bien délimitées, non, au contraire si enlacées l’unes à l’autres qu’elles se mélangent ;
Et te voilà alors toi,
Tu te mélanges,
Tu te dilues.
C’est ce qu’il te faut pour survivre, crois-tu,
Et tu es convaincu qu’il te faudra survivre ce soir, comme si vivre était devenu trop difficile, comme si la fête s’était déjà achevée (avait-elle seulement commencé ?) et puisqu’après tout les lueurs extérieures s’étaient éteintes tu te dis qu’en ton cœur il n’y a pas de raison qu’elles restent allumées ;
Un sourire est toujours plus visible que le baiser du soleil, aussi amoureux soit-il.
Alors tu t’oublies,
Tes pieds sont plus fermes sur le sol mais c’est surtout ta tête qui se fait froide, ta stature qui se redresse lentement, tu portes la nuque haute (c’est pour mieux voir l’horizon) et les mains pleines de petits gestes survivalistes ; tu ne ressens plus rien. Tu t’étais estompé, il n’y avait plus en toi ni d’Azalys-enfant ni d’Azalys-étoile, il n’y avait même plus d’Azalys (tu devras un jour trouver un nom à l’Autre, que l’on dira
pseudo par commodité), il n’y avait en toi qu’un mage, un guerrier, un combattant,
Un regard glacial.
Instable. Devrais-tu vivre pour toi, ou sauver les autres d’une menace que tu ne discernes pas encore ?Les pulsations s’étaient estompées, tu ne sentais plus sous tes pieds que de petits ronronnements, une odeur de cendre mais de cendres fraiches, comme si c’était la mer elle-même qui avait été brûlée. Tu te redresses, tes mains s’appuient un instant sur tes genoux puis tes doigts serrent le contour de tes hanches et ta langue se glisse sur tes lèvres – gorge sèche – pour goûter le parfum sanguin qui pulse sur ton palais,
Un regard capte ton attention. Se perd dans le tien.
Un homme avait rejoint votre trio.
Compagnon de la jeune femme, duo létal, il se déplace dans un grand silence et pourtant tu perçois le vacarme, la clameur silencieuse laissée dans le sillage de ses gestes. C’était un peu comme une grande impression de puissance, de prestance, ce genre de choses que tu ne comprends pas parce qu’elles ne sont pas pour toi (tu es ombre) ;
La peau sombre et les yeux orientaux, il avait enroulé quelques mots à l’oreille de la jeune femme et celle-ci s’était élancée, avait ouvert les bras pour déplier un oiseau bleuté. Flammes, dont tu ressens la chaleur sans même t’approcher d’un seul pas ;
Lentement ton regard se pose sur la jeune femme.
Sur ses yeux asphaltes.
Sur les flammes qui l’entourent. Qui l’enserrent.
Qui sont elle, sans aucun doute possible.
Tu comprends soudainement et le murmure s’échappe de tes lèvres, mi-surpris mi-rassuré ;
— Oh… Donc vous êtes une gardienne. Et toujours cette sensation qui
Ne te quitte pas.
Danger.
Mort.
Et ton regard
Détaille
Scrute
Dénude
Dissèque
(la foule)
Tu devrais paniquer mais tu ne paniques pas. Oh Azalys, les battements de ton cœur sont calmes dans ta poitrine mais ceux de l’angoisse eux retentissent (ils sont sourds dans tes oreilles), dans la nuit couleur carbone tu n’entends plus que —
Le roulement des vagues
Les murmures du mage près de toi.
Qui s’était rapproché et qui te regardait sans détour, et tu te concentres sur ses mots pour ne pas perdre toute notion de toi-même ; les phrases ricochent sur tes joues, roulent jusqu’à tes circuits auditifs ;
— Tu sembles être un mage, que savez-vous faire ? Je peux espérer pouvoir compter sur vous ?
La question te surprend, tu t’immobilises un instant.
Respire, Azalys. Respire. Instinctivement, ta main vient caresser les plumes de Dahlia (mais ce n’est que pour retarder le dialogue) ;
Tu connais la réponse. Elle t’es évidente.
Il ne peut pas. Tu es inutile.
Tu es incapable de créer tes ombres à partir de rien, parce que ta magie est une magie du rien, parce qu’elle ne se construit que dans l’opposition, que dans le tout ; parce qu’elle ne se fait qu’en transformant lumière en néant.
Et il n’y a presque aucune lumière autour de toi, Azalys, si ce n’est l’oiseau céruléen et le pâle reflet de toi-même qui teinte encore tes iris
Alors comment feras-tu pour
Te battre ? — J’aimerais pouvoir dire oui, réponds-tu… mais ma gardienne et moi, nous ne pouvons pas utiliser nos dons sans lumière. Le soupir éclot sur tes lèvres, clôt tes émotions ; tu t’éloignes d’un pas, tes yeux fixés sur l’amarante carmine. Puis tes mains se logent sur la nuque de Dahlia.
— J’ai un mauvais pressentiment, je suis à peu près sûr que… ////
死 赤 ライト
Une nouvelle pulsation.
Rouge.
Les lanternes se rallument.
D’abord teintées d’amarantes subtiles puis de grenades plus vives, elles vacillent dans le vent, s’accompagnent de murmures puis de cris surpris ; toi, tu te penches légèrement, te rapproches de la jeune femme alors que le vacarme ambiant redouble, se fait angoisse millénaire,
Et tu te tends, Azalys. La sensation de danger encore un peu plus présente dans ton crâne.
Clac, clac.
Tout cela n’appartient plus à la fête. Tes yeux détaillent la foule, la lumière rouge, et un sourire nerveux tord tes lèvres, suivi par un petit rire. Tu sais que rien de tout ça n’est normal et que moins encore ne peut être assimilé à un bon présage.
— Charmant, cette couleur. Et pas du tout effrayant. Je crois que le décorateur de ce bateau a raté sa vocation, murmures-tu avec deux lèvres amères.
— Azalys… proteste Dahlia en retour.
Son ton est reproche, ses ailes roulent sur ton épaule, cherchent soutien autant que réconfort. Elle n’aime pas, Dahlia, que tu te perdes ainsi ou plutôt que tu te détruises – parce que tu ne peux pas te perdre si tu n’as aucune possibilité de te retrouver. Elle sait que tu reviens toujours mais que tu laisses une partie de toi à l’Autre ;
Que si ton sourire sera à nouveau le même sur tes lèvres, lorsque vous aurez quitté ce navire,
Celui dans ton cœur, lui, sera toujours un peu plus malsain.
(Une plaie béante)
Seulement, cette fois, il n’y a pas que ça,(Et tu ne le sais pas).
Une nouvelle pulsation.
Seulement visible par elle. Par eux. La gardienne s’était déstabilisée, avait accroché ses griffes dans la chair fine de ton épaule et un geste de main l’avait chassée de ta clavicule ; tu regardais les lumières Azalys, tu réfléchissais par flashs, par pensées découpées entre elles-mêmes et presque dissociées ; comme si le rouge te rappelait une odeur.
Du sang. Une nouvelle fois Dahlia vacille sur ton épaule et la faiblesse soudaine de ta gardienne t’incite cette fois à détourner le regard ; à ne plus contempler cette lueur si inquiétante – elle vous baigne de toute façon, elle est dans le ciel et sur vos peaux – pour offrir à ta belle l’intérêt soudain de deux prunelles vertes ;
Tes mots restent silencieux, mais tu sais qu’elle te comprendra malgré tout,
— Ça ne va pas ?Et la gardienne s’enfouit sur ton épaule, ses plumes se confondent à la blancheur qui n’est plus si blanche du costume, et elle parle ; et ses mots se brouillent.
— J’ai… j’ai une sensation étrange, comme si ça s’était déjà passé. Aza… Aza, ça craint. Ne bouge pas, d’accord ? — Je ne vais pas bouger, Dahlia. On est au milieu de la foule. Si quelque chose nous attaque, on le verra venir. Sauf si une comète géante décide brusquement de tomber sur le navire. Mais dans ce cas, peu importe que nous soyons dehors ou sur un pont inférieur. Sarcasme Tu t’étais redressé et tes mains s’étaient nouées autour des ailes de Dahlia – ta peau est froide Azalys tu parais déjà mort ; si blanche et pourtant si chérubienne, tu restes un instant immobile avant que quelques murmures ombreux ne naissent dans le creux de tes ongles,
Tu veux te défendre.
Tu as besoin de magie. Tu peux l’utiliser maintenant.Alors tu l’invoques,
Cet objet qui normalement te terrifie.
Tes paumes s’ouvrent, se fendent d’une révérence puis s’immobilisent et tu vibres, et tu la sens – toute cette noirceur qui te transperce – et tu le sens – ce précipice où les mots se transforment en images pures, en terreurs ; lentement les songes prennent forme sur ton poignet, glissent sur le radius ; cauchemar plutôt que lumière,
Les ombres se font araignées, puis amarantes. Par touche, elles dessinent sur ta main et sur ton avant-bras le gantelet qui te permet de contrôler la magie de ta gardienne ;
Et tu
N’es
Plus. Lentement tu étends tes doigts, tes articulations se replacent unes à unes ; et le sourire sur tes lèvres se replace aussi, si ambigü si dérangeant Azalys, qu’on pourrait se demander si tu es encore humain,
Ou si tu te confonds à ces ombres qui vous attaquerons bientôt.
Alors tu t’étais redressé, encore un peu, et ton regard avait saisi celui de l’homme ébène pour murmurer en un souffle brûlant :
— Il faut bien avouer que ces lumières donnent à la scène une ambiance morbide, mais au moins, nous pouvons combattre cette fois. Si cela est nécessaire. (Tu t’interromps un instant, étire un peu plus tes lèvres ambigües).
Mais j’ai l’impression que ça le sera.