i.
Le visage tourné vers la lumière, Imé contemple le profil sombre qui se découpe dans l'encadrement de la fenêtre. Les lambeaux d'obscurité que les traits de son visage retiennent à peine lissent cette face ordinairement préoccupée en une expression sereine. Entre ces murs froids et épais propices au recueillement et à la prière, Hisaki se sent en paix avec lui-même, plus à sa place dans les locaux du culte qu'aux côtés de la gouverneure qu'il est censé protéger. Imé hésite un instant à attirer son attention ; sa main se tend vers son mage, avant de s'abaisser avec résignation. Elle apprécie de le voir si paisible : elle sait que si elle venait à troubler ce moment, le visage d'Hisaki se fermerait, et toute cette hostilité qu'il a développée à l'égard du monde lui reviendrait en pleine figure. Elle préfère le regarder en silence, satisfaite de savoir qu'il y a des choses en ce monde qui parviennent encore à l'apaiser.
ii.
Une porte s'ouvre ; un prêtre annonce la venue du collègue qu'il est parti chercher, il s'efface pour le laisser entrer, s'assure que les hôtes ne manquent de rien, puis les laisse discuter.
C'est un jeune homme de belle allure qu'Hisaki a sous les yeux. Sa blondeur lui rappelle un certain protecteur de l'Est, mais celui-ci n'a pas l'aura princière qui le fait détester son arrogant homologue. Il semble plus pur, sincère, un bon religieux quand on en fait de moins en moins, et Hisaki comprend pourquoi son supérieur lui a demandé d'échanger quelques mots avec lui. Sephym a l'air doux et naïf du jeune homme qui peine à concilier ses convictions, sincères et profondes comme les racines d'un arbre centenaire, et ses multiples interrogations sur le sens de la vie, foisonnantes comme la jeune pousse qui ne sait pas encore bien survivre. Il pourrait s'effriter, à trop vouloir s'interroger ; il lui faut se préserver de l'angle biscornu que sa curiosité toute salutaire pourrait emprunter.
La situation doit être stressante pour Sephym, qui ne sait pas à quoi s'attendre de son entretien. La réputation d'Hisaki parle pour lui, on le sait rude et renfermé, peu amène à accepter les réfutations de sa religion. Et pourtant, il lui est plutôt aisé de se mettre à la place du jeune homme, d'éprouver de la compassion pour lui, car il connaît ce chemin que Sephym arpente, pour l'avoir lui-même emprunté dans sa jeunesse. Lui-même n'a jamais songé à remettre en cause les saints enseignements que l'orphelinat lui a délivrés, mais il pense avoir simplement eu un avantage, et que sa nouvelle pupille suivra la même voie que lui.
« Bonjour, Sephym. Je m'appelle Hisaki. Je suis venu pour te parler. On m'a dit que tu avais de nombreuses questions sur le culte, plus nombreuses que ce que les autres prêtres sont capables de répondre : si tu le veux bien, on peut en discuter tous les deux, et j'essayerai de t'apporter les réponses qu'il te manque, d'accord ? »
Tel est le contrat qu'Hisaki passe avec Sephym : une simple discussion, sans jugement, sans risque, pour l'aider à organiser ses pensées et renforcer sa foi. Hisaki n'est pas pressé, il a tout le temps qu'il lui faut, et reviendra si nécessaire : il essaie pour le moment de gagner la confiance de Sephym, afin de le pousser à mieux lui révéler les embryons du mal qu'il va falloir exterminer.