Loi du Talion
Des glaçons qui s’entrechoquent dans des verres à moitié remplis, les mêmes visages qui se reflètent dans les liqueurs colorées, les émanations envoutantes en guise de brume dans la pénombre ambiante.
Elle toisait, meublée d’ennui, ce qui semblait être la foule environnante. Les mains qui se croisent, les rires qui s’élèvent, les langues qui se mêlent et la folie nocturne rejoindre cette masse.
Ce cadre ne formait qu’une décadence supplémentaire dans l’imposante cité, ici les vices se mélangent aux salives comme aux fluides et si l’on s’assomme à coup de breuvages pour oublier la soirée c’est qu’elle était réussie.
Déphasée dans cet espace clos, la réalité s’effaçait au profit d’une nitescence pourpre, une allure de limbes sous ses yeux. Elle trônait seule, sur un fauteuil miteux, elle décantait incessamment son spiritueux, elle le reporta en un tournemain à ses lippes desséchées, l’odeur de tourbe dans les narines, le gout fumé sur les papilles. À bien y repenser, elle n’appréciait pas cette boisson, cette sensation de se bruler le gosier à chaque gorgée, les effets de l’éthanol qui l’atrophie de tout son être. Elle reposa, le reste du contenu de l’infâme alcool dans un bruit sec.
Maintenant, elle attendait, placidement, la raison du pourquoi elle se trouvait dans cet enfer. Pour des raisons plus qu’évidentes elle ne pouvait pas se pavaner librement lors de ce type de rencontre, pour autant elle n’éprouvait aucun remords ou sentiment d’illégalité à l’égard de ce service. Elle demeurait discrète dans ses actions, dans son accoutrement actuel rien ne pouvait laisser entrevoir l’image qu’elle s’efforçait de faire resplendir chaque jour, le poids des médailles et des responsabilités abandonné dans le casier pour une nuit . Ce soir, elle venait assouvir ce qu’on lui empêchait de commettre, des pulsions vindictes enrayées par un système aux rouages rouillés. Rétablir un semblant d’harmonie dans la balance, si les griffes de la justice n’ont pas su les atteindre, elle n’a qu’à claquer des doigts pour que d’autres créatures affamées se mettent en chasse. Tous les chemins mènent à une fin certaine pour les coupables, elle n’est qu’une guide sur ce périple.
Égarée de ses pensées forcenées et en dépit de son impatience, elle ne remarqua pas la forme qui venait de prendre place à ses côtés. Un coup d’œil rapide fut capable de la rassurer sur cette présence, ni un ivrogne transporté dans des exhalations délirantes ni un courtisan prédateur à la recherche de sa maigre proie pour la nuit, simplement cette morphologie quiète reconnaissable. Son visage se morfondait en un léger rictus apparent, comme une gamine à laquelle l’on aurait donné sa récompense pour l’attente, le temps voulu approchait.
Il y avait ce silence qui planait, elle le savait, il ne dirait mot que sous des indications professionnelles.
Un ange passe, mais elle décida de le décocher, les saints ne méritent pas leur place ici.

« Toujours à l’heure à ce que je vois. »

Cela serait un mensonge de reprocher quoi que ce soit à son interlocuteur, jusqu’ici jamais sa ponctualité ainsi que son efficacité ne lui faisaient défaut. Son automatisme lui donnait cet aspect presque inhumain, malgré cela, Lyrith ne le dépréciait pas pour le moins du monde, elle aimait sa façon de travailler, cette nonchalance lors des exécutions, le flegme de son aura.
Elle n’attendait aucune réponse, elle le connaissait dorénavant. Du bout de ses doigts, la jeune femme pointait vers le vidrecome empli de ce qu’elle ne saurait se rappeler.

« Je t’ai commandé à boire, c’est moi qui offre. »

Le léger rire étouffé en fin de phrase lui rappelait qu’aucun organisme ne se montre insensible à l’enivrement des nectars, le presque vide dans son verre suffisait à tracer une corrélation avec son état. Elle laissa voltiger quelques instants, que l’homme puisse analyser son message, délier cette pesante atmosphère.

« Franchement, l’on pourrait choisir de meilleurs lieux pour se voir. » Aucune réaction.
« Mais je ne tournerais pas plus longtemps autour du pot, je veux ton rapport sur cette “affaire” et ensuite nous discuterons de la suite, cela te convient ? »

Question rhétorique. Ton diplomate et impérieux, chassez le naturel et il revient au galop, hors de question de s’écarter de son véritable objectif.
Elle s’autorisa une dernière fois de tremper ses lèvres dans l’ardent alcool, elle absorba l’ultime goutte d’un trait avant de laisser tomber lourdement son verre ce qui lui servait de table. Quel arôme répugnant.

@feat Carnage

Loi du Talion
Et le monde continuera de tourner. Son lendemain entonnera la même sérénade. Cette chaine au cou, la laisse d’un maitre indicible.
Mais dans cette nuit qui battait comme un cœur malade, elle montrait les crocs, sortait de sa cage, les instincts anathématisés lui déclenchaient une appétition insatiable. Elle savourait chaque syllabe de son allocutaire. L’illusion d’être la meneuse de son destin.

Ses poumons se remplirent de cet air flétri, meurtri par la souillure ambiante.
Les globes oculaires cloués sur ce plafond mal vieilli, écorché par le tumulte du temps.
Elle souffla le contenu de sa poitrine nonchalamment, la semblance entre questionnement et jubilations. Elle redressait son regard vers son compagnon nocturne, juste le temps d’agripper vivement la bouteille qui lui servait de passetemps avant d’en verser une quantité raisonnable.
Elle repensait, impassible, aux paroles précédemment prononcées.
Des dommages collatéraux ? Quelle triste nouvelle, une épouvantable annonce, le coupable était tout trouvé ! La faute à pas de chance. Que Niantu garde maintenant cet esprit dans son « paradis ».

Moue carnassière. Pensées persifflées.

La nature dévore cruellement, comme la justice. Le sacrifice du moindre pour sauver le plus grand nombre. Ni bien, ni mal, ni vérité, seule la logique sans équivoque emporta cet individu. Tel est le rendement impartial de la probité.
Aucun état d’âme ne se dessinait sur ses formes, elle noya une fois de plus sa langue dans les effluves interdits.
Personne, non, personne ne pleurera l’innocent disparu, comme ils n’eurent jamais versé de larmes sur l’autel de son existence fourvoyée, comme ils n’ont jamais plaint les autres vivants écorchés.
Il ne demeura qu’un nom oublié dans l’océan des damnés.

Emportée par des élans presque macabres. La tête embourbée dans des réflexions opaques. Piquée par une curiosité parasitaire. Elle leva la voix d’une intonation affable.

« Je me demande, je me demande... »

Brève cogitation sans réels mécanismes, elle ne faisait qu’attirer l’attention du mystérieux occiseur.

« Quelles dernières paroles bavent-ils ? Ont-ils peur, fuient-ils leur expiation ? Succombent-ils à jamais comme des lâches ? »

Elle se fichait des réponses, ce ne sont que des mots jetés dans un abysse sépulcral. Elle guettait l’air intrigué de son auditeur, comme si il avait déjà flairé l’anguille sous roche.

« Et toi ? » Mesquinerie assumée.
« Quelle sensation parcourt ton échine lorsque s’éteint le dernier signe vital ? Éprouves-tu de la difficulté à faire abaisser cette lame sur les innocents ?… »

Jeu de regard amusé, une dernière carte à faire tomber.

« Comprends-tu ce pour quoi je m’anime ? Pourquoi m’obéis-tu aveuglément, ne questionne tu jamais mes ordres ? »

Une interrogation indéfiniment en suspension. Ils se postèrent en chien de faïence, telles les deux bêtes qu’ils incarnent.
De sa poche des frottements définissables, le bruit sourd de métaux qui se heurtent. D’un geste habile, elle lança la bourse sous les yeux de l’interrogé, une partie du contenu se déversa sous son l’impact, quelques pièces saillantes à la vue de la masse.

« Le montant de huit contrats, assez pour se reconstruire, protéger ses arrières, se projeter dans le futur. L’on peut en finir ici, tu sais, les voix commencent à se hausser sur cette série morbide.
Et quelques paroles me fustigent déjà à raison.  L’on met un terme à cela et tu vas voir ailleurs »

Elle coupa sa tonalité pour s’abreuver d’une lampée de ce qui brouillait ses sens comme sa faculté à coordonner correctement ses dires.

« Ou bien, tu poursuis cet idéal que tu ne sembles pas épouser, tu me rejoins dans cette quête inepte, tu deviens mon ombre en dépit de ta sécurité. Je ne te demande ni de m’apprécier ni de m’expliquer ton choix »

Elle ne voulait ni savoir ni lire dans cet esprit insondable, il pouvait prendre la possible paix ou arpenter de sinueux sentiers. Quel homme fou l’habiterait ?
La main tendue, de façon formelle, en signe d’un pacte sincère.

« Pas de rétrogression après cela, ton sort est lié au mien. »

Une cinglante éloquence pour conclure. Une tension frissonnante électrisait la scène.
Avait vu elle juste en allant si rapidement si loin ? Tous ses plans pourraient se briser un instant. Les minutes faisaient bouillonner son sang contagionné par l’éthanol.

@feat Carnage