« Il y a bien longtemps avant même que les gens n'habitent dans le ciel. Une guerre terrible éclata entre les hommes et une Déesse malfaisante. Après des combats sanglants, nos ancêtres aidés de Dieu scellèrent le pouvoir de cette Calamité. Puis quittèrent la terre souillée et stérile pour construire leur avenir dans le Ciel. »
Laran resserra sa prise sur ses documents. Lala n'avait pas l'air ravie de l'accompagner dans cette aventure-ci, au contraire. La mage sentait l'humeur de sa coéquipière sans même lui jeter un coup d'œil en arrière.
« On a besoin d'eux, Lala. » « Peut-être. Mais je t'ai déjà donné mon avis sur la question, le leur sera parfaitement superflu. »
Petit soupir. Évidemment, la demoiselle savait que sa démarche se heurterait à l'ego de sa Gardienne. Lala n'appréciait pas que sa partenaire de toujours doute de son avis. Elle n'avait pas l'air de comprendre que Laran n'ignorait pas son opinion. Elle souhaitait simplement un regard neuf sur ses questions. A force de travailler en tandem, leurs idées se rejoignaient souvent. Or, l'exploratrice souhaitait qu'un tiers aux pensées nouvelles, susceptibles d'entrer en désaccord avec les leurs, se penche sur son travail. Et parmi la liste des gens capables de l'éclairer, Serafim et Fatum figuraient dans les premiers juste après tonton, sans aucune hésitation.
Dans la mesure où Laran voulait éviter de déranger une énième fois le gouverneur de l'Est avec ses affaires, de peur qu'il soit déçu par son manque d'assurance dans ses choix, consulter Serafim lui paraissait la meilleure option. A force de s'entretenir avec le gouverneur sur des tâches censées relever de son domaine, elle craignait que ce dernier commence à douter de ses capacités. Malheureusement, Laran avait besoin des conseils des autres. Son inexpérience lui faisait appréhender l'erreur dans l'organisation de leur premières explorations, erreur dont les conséquences pouvaient devenir désastreuses, voire, létales. Face aux responsabilités lui incombant, elle n'avait pas le droit de plaider l'insuffisance de son vécu ; il lui fallait prendre les bonnes décisions, dès le départ.
Serafim lui semblait le plus à même de la dépanner. Couronné de succès en tant que protecteur de leur région, elle percevait en lui un modèle distillant forcément des conseils avisés. Un modèle qui n'irait pas moucharder sur leur entretien, aussi. Elle ne comptait pas hocher la tête à toutes ses paroles, bien entendu. Pour autant, sa réussite à son poste se percevait facilement quand on interrogeait les habitants. On ne pouvait pas en dire autant de Laran. Certes, les explorateurs l'appréciaient globalement. Mais les rumeurs à son sujet allaient bon train au point qu'elle était persuadée de ne pas faire consensus dans l'esprit des concitoyens. Tout l'opposé de Serafim. Il lui paraissait donc tout naturel de faire confiance à son expertise même si Lala traînait les pieds, considérant que Laran plaçait trop M. Perfection sur un piédestal.
Plus encore, la Gardienne soupçonnait Laran d'utiliser cette visite professionnelle comme un prétexte pour passer du temps avec le protecteur. Vêtue d'une tenue sportive, t-shirt noir avec une tête de lapin mignonne, pantacourt blanc, baskets, tous ces d'indices tendaient à démontrer une autre idée derrière la tête de la mage. Ne se rendait-elle pas compte que Serafim verrait clair dans son jeu au bout d'un moment si elle faisait traîner exprès leur entrevue ? A priori, non, ce qui exaspérait la Gardienne même si la meilleure amie bienveillante sommeillant en elle ne pouvait pas s'empêcher de trouver l'attitude de Laran adorable.
Dans la lune, Laran aurait pu manquer le lieu de rendez-vous si Lala ne lui avait pas donné un petite tape sur l'épaule. Sortie brutalement de son royaume fantaisiste siège de toutes les spéculations les plus invraisemblables sur sa rencontre avec Serafim, il lui fallut quelques secondes pour revenir à la dure réalité. Elle s'installa sur un banc, Lala se posant à ses côtés. Serafim ne pouvait pas la manquer. Il faut dire qu'il n'y avait pas grand monde dans le square érigé comme lieu de réunion. Laran avait beaucoup hésité sur l'endroit idéal pour leur entrevue. Quelque chose de formel, mais pas trop. La demeure du gouverneur où elle résidait étant exclue et le temps se voulant relativement clément, elle avait songé à ce lieu.
Au moins, ils bénéficieraient d'un cadre agréable. Elle lui avait donné rendez-vous près d'un parterre de fleurs violettes. Rétrospectivement, en jetant des coups d'œil aux alentours, son idée lui semblait de plus en plus pourrie. Il y avait plus facile comme indication, comme une statue ou une fontaine. Si elle lui avait parlé de la vieille fontaine de la place principale, aucune ambiguïté n'aurait pu se glisser dans son discours. Pourquoi le parterre de fleurs ? Qu'elle se sentait stupide. Heureusement, ce square, à l'écart de la petite ville, se voulait tout aussi modeste que le bourg l'accueillant.
Elle patienta. Chaque seconde s'étirait comme une heure. Assise, elle changea trente-six fois de position avant finalement de se lever en faisant les cents pas, puis de retourner sur le banc, défaite. Et s'il lui posait un lapin ? Strictement professionnel, certes, mais un lapin tout de même. Et s'il avait autre chose à faire ? Probablement. Et si ses indications étaient mauvaises ? Sûrement. Lala restait d'un calme olympien à ses côtés même si regarder Laran bouger dans tous les sens commençait à lui foutre la gerbe.
Tout à coup, la délivrance : une silhouette vaguement familière. Laran se leva d'un bond, renversant ses fameuses feuilles au passage que Lala récupéra au vol, usant de son pouvoir, avant qu'elles ne s'éparpillent au vent. N'ayant pas remarqué la chute de ses précieux écrits, Laran agitait la main en direction du jeune homme pour attirer son attention.
« Hé ! Ça va ? J'espère que ça ne dérange pas trop, ce rendez-vous ... Désolée. J'ai vraiment besoin d'un avis-- »
Sur ça, allait ajouter Laran en brandissant ses feuilles de choux jusqu'à ce qu'elle s'aperçoive qu'elle ne tendait que ses mains vides. Affolée, elle se tourna, regarda vers le haut, vers le bas, à gauche, derrière, à droite, en diagonal, à la recherche de ses documents. Lala toujours assise, sourire en coin sorti, se contenta de déplacer le tas devant sa mage en lâchant simplement :
« Salut. » « Oh, merci Lala. » Gêne. Elle se sentait déjà cruche avant même d'entrer dans le vif du sujet.
La relation entre Liafail Findias et Seraphim avait toujours été plutôt nébuleuse pour le commun des mortels. Alors que pour la plupart des habitants de la région et même les proches du gouverneur, le protecteur et lui semblaient s'entendre à merveille, l'intimité était tout autre. Seraphim s'amusait à feindre la gène à la moindre parole que pouvait lui adresser le gouverneur alors qu'en lui brûlait la frustration de voir ce qu'il considérait comme un parfait imbécile siéger sur ce trône qui lui revenait de droit. Pourtant, le gouverneur avait su faire d'Eriu une région prospère, restant en bon terme avec la capitale. Pourtant, il lui manquait des éléments essentiels à un grand leader : notamment les privilèges accordés par Niantu. La magie. Ou plutôt : les gardiens. Un homme dépourvu de toute forme de magie ne pouvait pas décemment lui être supérieur et pourtant, hiérarchiquement, c'était le cas. Opprobre accablant, il était même chargé de sa protection.
Qu'en serait-il s'il était donc doté d'un gardien ? Bien entendu, en raison de l'âge avancé de l'homme en question, il était improbable de l'imaginer développer un quelconque gardien dans le futur. Toutefois la gestion d'Eriu se voulait assez semblable à une noblesse et si la famille la plus riche de la région était bien celle du gouverneur, une descendance serait à envisager. Et c'est ici qu'intervenait un cas de conscience pour le protecteur : Laran. Nièce du gouverneur, on raconte qu'il l'aurait élevé lui-même comme sa propre fille. Elle représentait donc ce qui se rapprochait le plus d'une éventuelle descendance pour la prise de pouvoir sur Eriu.
Pourtant, Laran n'avait rien d'un danger, à ce sujet. Elle n'était pas vraiment ce qu'on peut appeler un adulte et ne semblait pas nourrir un vague intérêt pour le pouvoir. Elle n'en restait pas moins une menace tacite qu'il aurait été stupide de ne pas prendre en compte. C'est là qu'un autre problème se posait : elle était elle aussi la détentrice d'un gardien, tout comme le protecteur. Un gardien bien plus espiègle et malicieux que la jeune fille. Un autre élément à prendre en compte.
Pour le moment, elle se concentrait principalement sur sa mission d'exploration. Mais il ne serait pas insensé que dans un éventuel soulèvement organisé par le protecteur contre le pouvoir en place, elle prenne le parti de son oncle et réclame de manière légitime de reprendre la place dudit gouverneur. Réclamer la suprématie des mages mais usurper le trône à un autre mage pourrait se révéler suffisamment contradictoire pour le mettre dans une position épineuse. Le sort qu'il lui réservait était donc en suspens jusqu'à nouvel ordre, bien que Fatum avait quelques projets en ce qui concerne Seraphim et Laran.
C'est donc avec une curiosité non dissimulé qu'il sautait sur la moindre occasion de l'encourager dans sa vocation d'exploratrice, peut-être afin de se débarrasser de l'épineux problème qu'elle représentait. Après tout, Laran était un mage et qui plus est on ne peut plus compétent dans son domaine. S'aurait été un véritable gâchis de se débarrasser d'elle. Et puis, jusqu'à présent, elle s'était toujours montrer plutôt coopérative et docile lorsqu'il s'adressait à elle. La manipulation n'avait jamais vraiment été le fort du prince cependant, nul doute que Fatum saurait comment s'occuper de cela. Ainsi, c'est en la présence de son gardien qu'il se rendit au point de rendez-vous indiqué par la jeune exploratrice. Toujours vêtu d'une sorte d'armure, cette fois-ci beaucoup plus légère, sa cape flottait au vent au gré de ses pas alors que Fatum s'occupait de transporter soigneusement l'épée du protecteur. La réaction de Laran surpris quelque peu Seraphim. D'un bond elle se rapprocha de lui, laissant s'éparpiller aux quatre vents ses documents. Un début de catastrophe qui fut étouffer par la judicieuse réactivité de la gardienne, Lala.
Elle s'exprimait d'une manière familière mais, tout comme pour Astrid, il avait apprit à ne pas en tenir compte. Après tout, il lui était important de ne pas se mettre à dos l'exploratrice. Et encore moins sa gardienne qui savait elle aussi comment se montrer vindicative. D'un rire embarrassé, il reprit la conversation pour ne pas laisser le malaise s'installer après l'échec cuisant que représentait l'entrée en scène de Laran.
― Bonjour, Laran. Et Lala. Ne t'inquiète pas, tu ne me dérange absolument pas. Tu sais, en temps de paix, mon devoir se limite uniquement à veiller au bien être des habitants de la région. Disons donc qu'en t'apportant mon aide, je fais aussi mon travail. J'ai amené Fatum avec moi, j'espère que ça ne pose pas de problème. Je me déplace rarement sans lui.
déposant lentement sa main sur sa poitrine et s'inclinant légèrement dans la direction de Laran, Fatum prit la parole afin de la saluer à son tour. ― Madame Nokomis. C'est un plaisir de pouvoir vous apporter notre aide. Nous ferons en sorte de nous montrer utile dans la tâche que vous souhaitez nous attribuer. De même pour vous, Lala.
Les modalités n'étaient pas un secret pour le gardien qui savait comment se faire bien voir. Si l'hypocrisie pouvait paraître apparente pour quelqu'un qui connaissait correctement le gardien, la plupart des habitants de la région s'accordaient à dire que Fatum était quelqu'un de très polit et de respectueux. Son comportement n'avait donc rien de suspect, malgré une courtoisie un poil pesante. Le prince affichait un sourire apaisant et cordial.
― A quel sujet souhaitais tu avoir mon avis ? J'ai bien peur de ne pas être d'un grand secours, en ce qui concerne les explorations.
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