Comme une boite fragile au plus haut d'une montagne écorchée et violentée par le vent et la neige. le moindre souffle le fait trembler, toujours près de la falaise, sans jamais y perdre pied. Lune est un garçon délicat qui menace de casser à la première tempête. Sous une couche nerveuse et maladroite s'y trouve un cœur un peu débordé de peur et d'incertitude. Lorsqu'on s'y investit, on y retrouve un jeune homme peu sûr de lui, qui désire ne pas faire de bruit et de rester caché. Lune est un grand sensible, dirigé par ses émotions, étouffé par ses désirs restreints. Silencieuses et un peu bancales, ses relations interpersonnelles sont piégées par le besoin égoïste d'être laissé tranquille, miséreux et confortable. Apeuré par les foules, angoissé par la ville et ses marchands, il est difficile de percevoir de lui autre chose qu'une maladresse morbide ou une timidité débilitante. La chaleur d'un regard suffit à lui glacer les doigts, mais il est trop poli pour s'y arracher. Ce n'est pas à faute de vouloir relativiser avec quelqu'un, c'est plutôt la peur que cette personne veuille s'introduire, qu'elle souhaite mettre son pied dans la porte. Son cœur déborde d'amour, mais il n'y a que dans la détresse qu'il se sent vivant. Il enfonce donc toute sa vitalité dans ses mixtures colorés, dans l'art des sens. Bien que son père n'accepte pas de rendre la chimie toute sa magie, Lune ne peut s'empêcher de laisser des couleurs glisser sur ses doigts comme des traces indélibiles, un sourire amoureux lui pend alors aux lèvres, enflammé et transcendant.

Union des étoiles et de la nuit ? Non. Lune est le fils unique d’une boulangère rêveuse et d’un séduisant chimiste ambulant. Le matin de sa naissance, les nuages couvrent les montagnes et le froid glace les os. Il est là, enfant brun et hurlant, chaud comme le désert. Un baiser sur le front, sa mère épuisée et rayonnante. Non, l’homme grand et charmant n’est pas là, mais il revient toujours à chaque 12 lunes. Lune, lui, son père absent, sa mère tendre comme son pain.

L’enfant grandit près des fours. Ses grands parents, sa mère et ses deux tantes cuisent tous les jours du pain et tous les jours, il court partout en riant, le ventre plein et ses petites joues rouges. Deux ans et son père n’a toujours pas visité, mais maman s’en fiche. Elle lui dit qu’il reviendra, lui amènera deux douzaines de roses et des chocolats en forme de coeur directement de Majoris. Mais la réalité est telle. Elle ne le revoit pas avant que l’enfant qu’ils partagent passe la barre des 5 ans.


L’homme va visiter l’adorable brunette de Falias, l’éternelle et chaude petite boulangère qui aimait bien se dégourdir, mais la surprise qu’il l'accueille était tout autre. Non seulement il était père, mais la petite débauchée s’attend même à ce qui prend son rôle au sérieux et qu’il s’établisse dans la contrée glacée. Il n’a pas l’instinct maternel, mais il a le sens des affaires. Main-d’oeuvre gratuite et peu embarrassante à sa disposition. Lune est un outil, une garantie que son commerce nomade se poursuivra lorsque ses mains se couvriront d’arthrite et que ses yeux se fatigueront. Avec des promesses d’amour et de soleil, il laisse l’enfant à sa mère pour quelques années encore, avant de l’embarquer sur le dos de son cheval pour la suite de son histoire.

Auparavant impressionnée par les potions et les bidules de son père, l’enfant retombe vite sur terre - en fait pas littéralement sur Terre, il n’oserait pas - en apprenant que l’homme est un charlatan talentueux. Des fioles de liquides roses pour faire tomber n’importe quel homme amoureux, des mixtures pour augmenter la chance, même des bouteilles pleines de liquide qui rende “intelligent”, le chimiste peuvent convaincre un nombre impressionnant de nigauds qui tombent facilement dans le plateau. Comme un magicien, sa médecine est illusoire, littéralement un placebo, mais il est tellement fascinant que les gens achètent n’importe quoi. C’est la raison pourquoi lui et son fils ne restent jamais bien longtemps au même endroit, se déplaçant aux quatre coins du pays pour offrir ses remèdes miracles.

Lune se fait élever par les grands chemins et les nuits passées dans des auberges chaleureuses. Autrefois gamin peint de sourires et de douceur, il devient de plus en plus introvertie et apathique. Son père l’utilise souvent comme cobaye ou comme écuyer et l’homme impétueux empêche l’adolescent de dévoiler ses attrapes aux pauvres gueux naïfs. Ses méthodes sont douloureuses et traumatisantes, et Lune vit seule avec ses pensées qui deviennent noires et troublées. Il ne voit presque plus sa mère et il n’arrive pas à lui expliquer l’abus qu’il subit aux mains de son père cruel, car l’inquiéter serait trop pour l’enfant concerné. Ses sourires masquent ses yeux éteints et ses vêtements de nomade cachent ses bras couverts de bleus et de brûlures.

Voilà plus d’un an qu’ils n’ont pas mis les pieds à Falias. Son père n’aime pas l’atmosphère froide et les habitants ont tendance à être plus sceptiques de ses potions étranges. La religion y est beaucoup plus présente qu’ailleurs et il a moins l’occasion de pouvoir s’amuser et d'escroquer les demoiselles à la recherche d’un sérum pour faire tomber les hommes à leurs pieds et les messieurs qui ont besoin d’un petit coup de pouce en bas du pantalon. Mais pour l’apprenti, les jours semblent s'éclaircissent et il retourne dans la petite boulangerie, voir sa vraie famille, les joues roses de sa mère, les yeux tendres de ses grands parents et les rires réconfortants de son oncle et sa tante. La lumière coule lentement dans ses larmes de joies. Ses hématomes s’effacent et il rassure sa mère sur ses nouveaux yeux brillants et bleus. Ses mains tendres dans ses cheveux en broussailles, comment elle lui dit qu’elle l’aime et qu’il lui manque. Oh comme qu’elle lui manque

Il passe un mois à Falias. Bien que son père l'interdit de passé la nuit dans la petite boutique, il revient chaque jour passer toutes les heures qu’il peut parmi les siens. La séparation est misérable et il n’a jamais vu sa belle maman pleurer autant ;

“Lune, mon amour, prend cette pierre, c’est une Eare, je veux que tu l’aies, je veux que tu puisses faire le choix. Lune mon enfant, je n’ai pas accepté le pacte, mais toi tu as le potentiel de réveiller un Gardien, d’utiliser sa magie. Lune mon coeur, sa couleur est bleue comme tes nouveaux yeux, ne restent pas sous l’emprise de cet homme, vie ta propre vie, danse, souris, peint et viens nous voir, viens nous voir.”

Dans ses mains le cristal émet sa lumière comme un écho violent. Sa mère referme ses doigts sur lui et il ferme les yeux. Dans son coeur, il sent les vibrations, comme un liquide frais qui coule dans ses veines. Mère et fils se regardent un peu affolés. Elle avait pensé qu’il aurait plus de temps de faire son choix, mais l’Eärendil demande son immédiate attention. Le garçon, un peu paniqué, accepte le pacte avec la pierre et un intense flash lumineux perce ses mains avant de la repousser vers l’arrière. Son corps se fatigue brutalement et il perd conscience.

Void Brigner ressemble à un chien. Son père est absolument jaloux et fâché par la présence du Gardien. Ses plans de léguer son commerce à son fils se trouvent brutalement détruits et il devient de plus en plus agressif envers l’adolescent. Mais Lune peut partager ses secrets avec son ami maintenant, ils peuvent changer les formules de ses expériences maintenant.  

Leurs voyages les amenaient là jusqu’au bout des routes et un bel après-midi, le chimiste demande à son fils d’aller chercher du lin rouge, pour ravitailler leur stock. Le garçon acquiesce, déjà heureux de profiter du vent doux qui flottait dans ses cheveux noirs et de s’éloigner de l’homme qui tout juste cet après-midi lui avait fait boire un mélange étrange qui faisait pousser des petites herbes sur les bras. La prairie est parsememée de fleurs sauvages quelques arbres offrent de l'ombre aux oiseaux. Il met sa main devant ses yeux fragiles, éblouis par les rayons qui dansaient dans ses pupilles. Son sac plein des fleurs rouges, l'enfant et le chien se dirigent vers un arbre. Ils ne savent pas qu'ils changeront sous cet arbre, la façon dont ils brilleront.