Il y a plusieurs nébuleuses
Elles sont dispersées au couchant dans un ordre logique, elles ressemblent au baiser d’une étoile mais il ne faut pas oublier qu’au commencement elles n’étaient qu’une
Qu’elles se sont tracées pour elles-mêmes dans le vide
Et qu’elles ne brillent que pour elles-mêmes
Au commencement elle était néant.
Désastre d’une vie soufflée par le vent, des tombes ouvertes dans un désert de cristal, elle était poussière et sa possibilité d’existence se trainait là, ballottée entre ciels et paupières, recroquevillée entre deux espoirs de sa mère ;
Elle aurait pu ne pas naitre et sans doute n’aurait-elle pas dû naitre, mais elle s’était accrochée à l’utérus tremblant et avait hissé son futur corps vers les étoiles, avait embrassé les nébuleuses pour qu’on lui permette de vivre ;
Et elle avait vécu.
Tamlynn Shearazann, deuxième princesse d’Eriu avec sa sœur ainée, mais seule, disait-on, à être née dans les lèvres de la mort tant les premières heures de sa vie avaient été laborieuse,
Tamlynn Shearazann, qui avait manqué d’emporter la vie de sa mère lorsque son premier cri avait raisonné entre les branches de l’Arbre-Père.
L’enfant avait grandi avec le visage cassant d’une pierre précieuse, portait haut dans ses rires des cancrelats d’émeraudes et de jasmin, des diamants éteints qui coulaient sur sa peau et heurtaient le froissement léger des voiles ; elle était brune, nébuleuse par instant quand un caprice noircissait son regard et lui donnait l’opprobre des tempêtes. La royauté n’avait, pas un seul instant, ombré son sourire d’enfant et aucune responsabilité ne s’était égarée à assombrir sa candeur juvénile ; elle était étrange Astrale, disait-on, à vivre si lumineuse alors que la mort s’était penchée au-dessus du ventre de sa mère et avait enlacé son berceau ;
Peut-être était-ce pour cela qu’elle aimait tant les étoiles, murmurait-on également, et qu’elle semblait avoir voué une partie de ses iris aux voûtes stellaires ; peut-être était-ce l’ire repentante d’une âme qui, dans sa valse, en avait presque emporté une autre.
Enfant changeante, douce tornade aux roses coupantes elle avait très tôt essayé le rose sur ses lèvres, avait revêtu l’habit princier à la perfection mais avait décidé que celui-ci ne lui convenait pas, s’était échappée à de nombreuses reprises pour trainer chevelure noire et loques poussiéreuses aux lisières de la forêt de jade ; s’était finalement éprise de la nature autant que des livres, comme si cette contradiction ne revêtait aucune importance. Aurait-elle vécu à Idye qu’elle serait sans doute plus d’une fois descendue sur les marinières et foulé les anciens ports de ses jambes trop longues ;
Il y avait en elle cette litanie étrange, ce parfum de mer qu’elle portait en tatouage sur ses omoplates, comme si elle aurait dû naître ailleurs ;
Ces vagues étranges qui, dans ses paroles, se confondaient avec les (maux).
Deux homochromes s’affirmaient sur son visage, hyades plus que ténèbres et elle grandissait, s’était miraculeusement amourachée un temps de la Rose Rouge avant que son esprit aventureux ne conteste l’éducation un peu trop formelle de sa famille, ne s’éprenne à découvrir les ruines et l’ancienne humanité autrement que dans les ouvrages ; plus d’une fois elle avait voulu partir en toute innocence, et plus d’une fois on l’avait rattrapée pantelante, psychiquement désarticulée par la puissance d’un monde stellaire qui s’était abattu sur elle plutôt que de la draper de sa beauté.
Elle avait six ans, huit ans, dix ans ; et il eut été inexact d’affirmer que, comme dans les légendes, elle détestait sa vie princière et ne s’amourachait que des grands voyages ou des grandes épopées ;
Elle l’aimait aussi, cette vie-ci. Elle était simplement une âme bien trop inconstante pour que les splendeurs de la Rose Rouge suffisent à combler ses insolents séismes ; et, à la pureté que certains auraient bien voulu lui accorder, elle se révélait un peu plus capricieuse que ne devrait l’être une princesse.
Sournoise, sans être perfide,
Manipulatrice, sans être cruelle,
(Élans refoulés)
Seul l’enfant d’un des serviteurs de sa famille, né quelques années après sa propre venue au monde, avait su un temps apaiser ses stupeurs ; peu à peu il s’était fait petit frère plus qu’ami et elle l’accompagnait souvent, élevait ses chevilles jusqu’au ciel, plaçait une main sous ses genoux lorsqu’il tombait ; lui contait des histoires d’ailleurs qu’elle prétendait vivre dans sa propre chair, tant le manque cristallin des foehns sur son visage abrasait ses mélancolies d’ailleurs.
Elle était curieuse. Cruellement éreintée.
Enfermée dans un carcan soyeux qu’elle n’osait enlever que le soir, lorsque la soie quittait ses épaules et que des mots en coton remplaçant les amarantes sur ses lèvres.
La Rose Rouge l’avait lassée.
Elle ne s’en démarquait pas tant, elle se fondait là avec l’aisance naturelle des papillons aux ailes épinglées, mais elle avait tant gouté le parfum des ancolies que la jeune fille avait rapidement compris qu’elle ne pourrait que se donner aux bras d’un prétendant si elle restait fleur ;
Et elle n’avait jamais été femme à se donner.
Alors d’Érudite elle était devenue plus insolente, avait porté résolument basses les couronnes sur ses reins, jusqu'à ne plus les porter du tout ; avait rapidement insisté pour qu'on lui présente des Eäre, même si éveiller un gardien réduirait son espérance de vie de moitié. Magnifique nébuleuse qui rêvait de se retrouver ailleurs mais pas de couper ses attaches, elle espérait découvrir en ces pierres un pouvoir et une compagnie qui lui permettraient de partir loin, d’apprendre à se défendre à défaut d’être guerrière ;
Puis elle avait rencontré Saowin.
Un fragment de Célestine noirci par les mines de Falias, une pierre bleue constellée de charbon, de putrescences informelles ; le reflet de ses propres ténèbres – sa nébuleuse sans lumière.
Un gardien qui avait pris l’aspect cruel d’un maître d’arme qui avait logé quelques jours à la Rose, et qui l’avait tant impressionné.
Ils s’accordaient difficilement aux premiers temps, ouragan et tempête se confrontant dans des joutes verbales qui les laissaient tout deux hagards ; elle en attendait trop, lui ne recherchait qu’une liberté qu’il ne comprenait pas ne pas désirer. Finalement tous deux s’étaient retrouvés sur le terrain d’entrainement, elle jeune adolescente aux cheveux noués, lui sobre et droit dans ses tenues de cuir, et ils s’étaient affrontés dans la sueur jusqu’à ce que leurs gestes se lient, forment entre eux cette confiance tacite supposée caractériser mage et gardien.
Peu à peu, Saowin l’avait éloignée de sa famille. Il l’avait formée, sans être capable d’expliquer ses motivations ; fasciné autant qu’apeuré des éclats de rose et des cierges sacrifiés de ce sourire innocent qui la dissimulait. De fleur, Astrale était devenue létale, et en avait joué bien plus d’une fois ; inconsciente qui s’énamourait autant des armes et des poisons que des étoiles, elle avait étudié plusieurs années les cartes parfois incomplètes des îles avant de songer à se délester de son rôle de princesse ; puis de retirer voile après voile les diadèmes qui avaient éclot sur ses lèvres à défaut de pouvoir briller dans son regard ;
Elle avait seize ans lorsqu’enfin elle était partie pour la première fois. Perdue dans les dunes d’émeraudes, elle traçait d’un pinceau une virgule sur l’immensité de l’horizon, une brève pause entre ruines et cités ; architecte de l’univers tout autant que de sa propre vie, ni elle ni Saowin ne s’étaient une seconde découragés de leurs errances macabres quand ils avaient été attaqués dans les plaines, ou quand ils étaient revenus au palais les os couverts par une poussière céleste fort mal appropriée à leurs états princiers.
Ils vivaient.
Souriaient et dansaient, d’une manière un peu vulgaire, ou tout du moins mal perçue par leur propre mère ; jamais sans doute n’y avait-il eu valse plus indésirable dans les hautes sphères que celle qui s’enracine aux ronces et s’éprend d’émotions bannies depuis longtemps des royaumes vivants.
(et ils
S’en fichaient. En jouaient parfois.)
Au premier voyage s’était rapidement succédé un deuxième puis un troisième, et Astrale s’était perdue dans les ruelles d’Oswal, avait longé mille poussières et mille routes sinueuses avant d’enfin quitter sa région ; à l’écho confortable et à vrai dire un peu trop rassurant de la selle sous ses cuisses, elle avait préféré la paume rugueuse de Saowin contre la sienne et l’insoutenable mélancolie des lames de cristal sur son visage ;
Plus d’une fois la jeune femme s’était penchée au-dessus des bastingages, et il aurait été inexact d’affirmer qu’elle n’avait jamais pensé en sauter, non pour mourir mais pour ressentir, quelques secondes, l’exacte et complète définition de l’idée de la vie.
Alors elle avait voyagé. Avait découvert des joyaux coulés dans des cancrelats de roches, des hauts-sommets si perçant que le ciel se teintait par pointe de bleu de méthylène, des plaines battues par le carmin, des hâves au creux du désert. Avait re-découvert la ville également, la
civilisation qu’on lui vantait depuis qu’elle était enfant mais que jamais la Rose Rouge ne lui avait offerte, les ruelles déformées par le bruit et l’écho des foires et des linges laissés sur la fenêtre, les mescluns infâmes mélangés aux mille parfums des gants et des écharpes audacieuses, les labyrinthiques dédales où elle y rencontrait tantôt des hommes aventureux, tantôt des connaissances plus illégales, informelles ; bientôt Astrale s’était constitué son propre réseau, receleurs ou herboristeries plus ou moins létales auprès desquels elle apprenait ou revendait, selon le trajet de son voyage et les résultats de ses pérégrinations.
Et elle vivait.
Inlassablement, elle vivait.
Une fois, elle n’était pas rentrée assez vite.
Elle ne se souvenait plus de son âge exact, s’était égarée dans les arrières-monts de Falias et ne s’était hâtée qu’au jour où Hyade lui avait apporté l’ultime missive. Le carmin habituellement si avenant de ses lèvres s’était fait velours, couleur passée des roses d’automne et Saowin lui-même se trouvait fort hâtif et peu conciliant envers le moindre opportun qui retardait leur voyage. Alors ils s’étaient pressés, avaient épuisé leurs montures pour arriver au palais avant que l’ultime joyau de leur famille ne se fane ;
Et il s’était fané, malgré eux.
Son père était mort deux jours avant qu’ils ne reviennent à Eruyt.
Aux funérailles, Astrale s’était fardée de nébuleuses, de noirs indécents ; elle avait porté haut les voiles sur ses yeux et avait quelques temps revêtu la couronne princière, par respect, avant que sa famille ne se décide à quérir à nouveau le trône. Puis la princesse s’était à nouveau faite absente, s’était éloignée avec tant de vigueur du palais que quelques murmures s’égaraient à dire qu’elle fuyait le fantôme de son père ; que son âme enfantine, bercée si près des ancolies et des étoiles, ne supportait pas de se trouver soudainement si proche de la mort à nouveau, comme elle l’eut été à sa naissance.
Alors, après ses vingt ans, Astrale n’avait plus été que songe.
Ire doucereuse son regard s’était résolument noirci dans la bouche du deuil et pendant plus d’un an elle n’avait pas approché le palais, avait seulement sommé quelques missives à Hyade pour signaler qu’elle allait bien ; une autre valse s’animait lentement en elle, soulevait iris et lèvres trop pleines dans l’anathème, et elle tournait mal. Davantage audacieuse et capricieuse qu’auparavant, plus d’une amante avait subi ses outrages avant qu’elle ne consente à les abandonner à la nuit, plus d’un malheureux avait absorbé au hasard poisons et breuvages toxiques sans que la jeune femme n’y oppose le moindre soucis de conscience ;
Lorsque finalement elle était rentrée au palais, c’était une sœur absente du trône et un jeune « frère » égaré qu’elle avait trouvé.
Alors elle était restée, une nouvelle fois.
Avait paré ses lèvres d’or et ses cheveux de fleurs éreintées, de sourires un peu fanés aux longues boucles crépusculaires pour assurer quelques mois le devant de la scène politique, avant que les dignitaires d’Eryut ne puissent à nouveau lui épargner ce devoir ; avait redressé, également, les travers de celui qu’elle considérait comme son frère pour que celui-ci ne suive pas cet exemple qu’elle lui avait lui-même tracé. Il n’y avait plus en elle rien de cette âme cassante et nébuleuse qui avait arpenté les malingres ruelles de Manest ;
Instable et déséquilibrée, mais assurée.
Elle s’était retrouvée.
Peu à peu, les joyaux éteints sur sa carne consentaient à briller à nouveau, elle se teintait de jades et d’émeraudes inconstantes sans que jamais le deuil ne quitte totalement son regard ; sublimée, dira-t-on, comme une nébuleuse se sublime tout autant de ses étoiles que de ses ténèbres. Plusieurs fois Astrale avait-elle ainsi quitté à nouveau le palais, et plusieurs fois y était-elle revenue, sans qu’aucun de ses voyages ne consente à changer l’âme valeureuse qu’elle devenait,
Elle hurlait. Elle souffrait. Elle vivait.
Et, le soir de ses vingt-trois ans, après s’être dénudée de cette robe blanche et bleue qu’elle avait choisi par convenance, Astrale avait rejoint les hauteurs de la Rose Rouge puis s’était assise sur les branchages, sa main lovée dans celle de son gardien ; alors elle s’était confondue avec les autres nébuleuses, étoile abandonnée à ses sœurs, pour murmurer avec toute la splendeur de son cœur :
Vois-tu le crépuscule, Saowin ? Un jour, lui aussi sera mien.
… … … … … … … …
Et le noir, lentement
S’éteindra.
Touche à tout sournoise – Se croit plus maligne que le reste du monde, ce qui n’est pas nécessairement faux – Se soucie parfois un peu trop peu des conséquences de ses actes – Aime charmer et provoquer mais uniquement à moitié – Née dans une rose plutôt que du ventre de sa mère, tout du moins elle aime à le prétendre – Change de masques et de personnalités plus souvent que de vêtements – Seulement en apparence, c’est seulement une façon de ne pas assumer certains sentiments – Très féminine mais se comporte parfois au masculin – Notamment quand elle voyage dans des contrées éloignées, mais parfois par simple envie – Passe la majorité de son temps aussi loin possible d’Eruyt, et l’autre majorité dans la bibliothèque – Elle évite Majoris mais se perd un peu trop souvent à Eriu et Falias – Spécialiste pour disparaître de long mois sans donner de nouvelles – Mais voyage toujours avec une chouette nommée Hyade– Et avec Saowin – Elle aime bien dire « je voyage avec deux personnes dont un animal », mais elle ne parle pas forcément de la chouette – Elle finit la majorité du temps à cheval, surtout à Eriu – Élocution partagée entre les charades poétique et un langage plus brut de pomme, un peu emprunté aux marins des ports – Mer sur le bout de la langue à défaut d’être dans le regard (ses yeux préfèrent les nébuleuses) – On aimerait dire qu’elle sent le jasmin et la cannelle mais elle traîne plus dans la poussière qu’autre chose – Joue de la harpe et du violoncelle – Elle ne portera jamais de robe, ou pas sans avoir une mauvaise idée derrière la tête – Ou dix mauvaises idées – La majorité du temps, elle préfère des vêtements de voyage amples, parfois masculins – Ou parfois un peu trop féminins au contraire – Elle a enterré la prudence avec le respect, quelque part au fin fond des contrées les plus hostiles de Falias – Saewin lui a appris à se battre de manière relativement correcte – Elle utilise essentiellement un sabre ou des batons aiguisés – Saewin lui préfère les dagues et les arcs – Fascinée par la magie et par les héritages des anciens hommes – Intriguée à propos du pacte mais ne souhaite pas pour autant en conclure un – Douée pour tailler des statuettes dans des bois rares, puis pour les égarer – Herboriste à ses heures perdues, elle entretient quelques liens avec des alchimistes douteux de Fallias – Et n’emploie pas toujours la botanique à des fins purement admirables, même si elle n’a jamais confectionné de poison mortel – Elle pourrait être considérée comme une chasseuse de trésors, à ceci près qu’elle collectionne davantage les objets inutiles que les pierres précieuses – Elle n’a de toute façon pas besoin d’argent, vu sa famille – Connaît par cœur certaines ruines – Capable de faire un feu avec plus ou moins n’importe quoi, c’est un talent inné.