Song - thème très original.Exil. Battement souple,
Arraché à la ronde du temps.
Sourd. Cardiaque.
Tempéré.
Poussière.Que tes pas soulèvent, un à un chainés à tes chevilles, puis à tes jambes. Tu marches, doucement, sans penser – tes idées sont des œillères. Au-dessus de tes épaules, tu sens les colombages d’Inari peser contre le ciel et les toits braver la symétrie de la ruelle. De vaillantes tentatives, à cette heure tardive où la voûte céleste se fait déjà crépusculaire, gonflée d’éclairs bleus et noirs qui tardent encore à ombrer le soleil. L’ambiance était étrange, pensais-tu ; le claquement de tes bottes sur les pavés peinait à rivaliser avec la cacophonie des dernières conversations, et pourtant Niantu seul savait que tu marchais avec suffisamment d’aisance pour que l’on te remarque. En mépris de toute discrétion ou délicatesse, par ailleurs ; tes pas sont souples, s’arrondissent lentement sous la lune naissante. Démarche orgueilleuse. Où fleurissent une à une des idées de conquête, de bataille et de victoire.
Tu ressembles à une reine Ellébore, et tu t’en amuses.
Des tiares et des couronnes dessinées sur tes paumes, pour glorifier un peu ta situation que tu sais dérisoire par rapport à ton futur rendez-vous.
Le gardien du protecteur de l’est. Tu avais rencontré Fatum la première fois que tu avais voyagé jusqu’à Inari pour troquer tes eärendils, lassée tout aussi bien des acheteurs d’Idye –
bien plus des escrocs que des professionnels, selon toi – que de l’ambiance délétère de la région maritime ; hypocrisie se faisant bracelets ou même bouquets dans le regard de ses habitants. Au contraire, Eriu te paraissait beaucoup plus favorable, pour une femme aussi peu scrupuleuse que toi : une contrée un peu mystique, hantée par des rêves et les mirages de vie sédentaires, à laquelle tu t’étais sitôt intéressée. Comédienne capable, pour quelques pièces supplémentaires, de conter aux esprits rêveurs la grande et dangereuse aventure pendant laquelle tu aurais trouvé ces iris carmin, ces pierres aux couleurs de grenat.
Alors que tu négociais sur le marché, Fatum t’avait proposé un bien meilleur prix que les autres, ainsi qu’une relation d’exclusivité – que tu avais accepté sans peine, tant la somme proposée dépassait nettement ce que, pour toi, pouvait valoir un jade ou une émeraude, aussi magique soient-ils. De ses projets de conquête, tu te fichais éperdument, Ellébore ; quoique tu écoutais et le questionnais toujours avec une curiosité un peu perverse, désireuse de comprendre comment se fait le monde – alors même que tu ne souhaites pas en être protagoniste. Aux intrigues politiques et humaines auxquelles tes pères auraient voulu te destiner, tu avais depuis bien longtemps préféré le calme de tes montagnes, la quiétude des cimes et le roulement des neiges. Les paons que tu chassais dans la forêt, aussi, et dont les plumes ornaient parfois tes coiffes ou tes poignets en une volonté certaine de te défaire des mœurs de la capitale.
Tu avais aimé Falias dès le premier regard.
Pour autant que ton esprit atrophié, écorché et pragmatique puisse aimer quelque chose.
Quelle idée de frayer avec les puissants, te murmures-tu alors que ton corps se glisse vers une fontaine devenue familière. Le lieu préféré de vos rendez-vous, une large baie de faïence ornée de quelques décorations futiles, lapis et grenats insensibles à la lune. Pour plus de discrétion, t’avait-il avoué à demi-mots, bien que tu doutâmes de la discrétion d’une voyageuse aux cheveux bleus et d’un homme à la peau pâle comme une ornière. Heureusement que tu avais demandé à Archimède de t’attendre à quelques rues de là… Un soupir heurte tes lèvres ; tu tournes sur la place ; tes jambes forment des vagues – chorégraphie d’air – alors que ton pas se fait plus discret, presque dansant. Autour de toi, passantes fardées et voiles cacheminées s’écartent unes à une pour qu’enfin tu puisses entrevoir le visage de ton rendez-vous, t’y dirigeant avec cette même noblesse, cette même droiture que tu distingues dans sa posture. Quelques mèches bleutées, échappées de ton chignon, s’égarent sur ton visage et tu te recoiffes adroitement alors que déjà le gardien te salue.
― Vous voir me réjouit tout particulièrement. Ce n'est pas souvent que j'ai le droit à un véritable moment de calme et pouvoir converser avec vous au moment de nos échanges est un véritable plaisir. Asseyez-vous, je vous prie. Ellébore.
— Vous savez comme moi que je ne suis pas ici, essentiellement, pour converser, murmure-t-elle en se laissant glisser sur la fontaine. Ses mains éraflent la faïence.
Quoique votre compagnie me soit toujours agréable. Vous êtes bien plus instruits que la majorité des individus avec qui je peux commercer.Tes gestes se font dignes, empreint d’une certaine noblesse que tu t’appliquais fréquemment à dissimuler – mensonge –, mais qui formaient couronne dans ta chair. D’un geste tu effleures tes propres genoux, mouvant tes jambes pour les croiser. Cygne en ta posture. Serpent en ton cœur. Et ta nuque s’élance, se fait reine à nouveau lorsque tu l’étires vers le ciel, comme pour combler les quelques centimètres qui vous séparent. Dans un sourire poli, tu ajoutes :
— Je suppose que vous disposez de peu de temps, étant donné votre rang. Préférez-vous discuter immédiatement des modalités, ou avez-vous auparavant quelques anecdotes à compter sur l’avancée de votre… projet ?Et ton cœur se fait, comme souvent, curieux de projets qui ne te concernent pas.