Son optimiste pourrait passer pour de la naïveté.
Mais n’est-ce pas ce qu’elle est ? Un curieux mélange d’innocence, d’optimisme saupoudré d’un brin d’idéalisme à n’en point douter. Ce n’est qu’une enfant, elle n’a pas encore vraiment murit. Ce n’est qu’encore un brin de jeune fille qui n’a pas assez grandit. Elle imagine bien des choses, elle imagine, une monde tout rose, un monde où personne ne se permettrait d’être mauvais. Pauvre enfant bien naïve. Tout serait bien mieux si le monde tournait comme ce qu’il se passait dans sa tête.
Mais ce n’est point possible et elle n’arrive pas à se rendre à l’évidence, elle est bloquée dans cet espoir de bonne entente.
Douce enfant, tu as encore bien des choses à voir.

Pas dépendante des autres mais un exemple est toujours bon à prendre. Un peu trop sans doute. Elle se plie en quatre pour ne pas incommoder ceux qui l’entoure, que ses paroles et ses actes plaisent à ces personnes. Quelle horrible idée mon enfant. Mais c’est plus fort qu’elle, il lui faut se plier aux autres. Sale habitude qu’elle a gardé là. Sale habitude dont elle ne cherche pas à se débarrasser.
Simplement à la traîner derrière elle comme si tout était normal.
Ne changeras-tu pas un jour ?

Peut-être es-tu un peu stupide ? Aveugle ? Les deux, qui sait ?
Alannah est bien trop bonne, bien trop gentille avec les autres. Elle pourrait donner bien des choses pour leur bien-être, pour s’assurer qu’ils aillent bien. Tu es bien comme ton père Alannah, prête à tout céder pour ces personnes que tu portes dans ton cœur. Bien loyale à ces personnes, cela lui jouera des tours un jours et elle ne pourra faire marche arrière.

Elle n’est pas si grande qu’on pourrait le croire.
Parfois proie à la peur, se retrouvant seule face à ses démons. Ne baisse pas les yeux, ils sont seulement dans ta tête. Seule face à ses peurs qu’elle n’a jamais osé chasser depuis bien trop longtemps. Elles sont là, sur ses épaules, à lui murmurer au creux de l’oreille, à donner ces frissons d’horreur le long de son échine. Elles sont viles, bien trop présentes, elles ne partent jamais, elles se terrent et attendent le moment propice pour refaire surface.
Un peu comme un enfant, elle refuse d’affronter ce qui l’effraye le plus.
Grandis bien petit bourgeon, tu t’épanouiras en une belle fleur.

« Encore un mauvais rêve ? » La rouquine opinait, un petit sourire au coin des lèvres, un air triste dans le regard. « Tu te souviens encore de tout ça ? » Un léger mouvement de tête. « Comme si c’était hier. » La gardienne penchait la tête sur le côté en rapprochant une de ses jambes contre elle. « Raconte-moi tout encore une fois. » Alannah déglutissait, le regard sur ses mains.

En réalité le plus dur à revoir, c’était les premières années et le visage de sa mère, surtout le visage de sa mère. Était-il doux ? Dur ? Qu’elle était la couleur de ses cheveux, la forme de ses yeux ou même de son nez. Et son sourire alors ? Comment était-il ? Il y avait comme un gros point d’interrogation qui se formait sur ce visage presque inconnu, effacé. Flou.
Mais le visage déformé par les larmes de son père, ça, elle s’en souvenait très bien. Son cœur qui se serrait à chaque sanglots, elle s’en rappelait bien trop souvent. Et le goût amer de ses larmes, ça aussi. Sa petite main se glissait dans l’énorme de son père. « Tout va bien se passer. » Elle voulait y croire, elle voulait que ça marche même sans sa mère.
Il avait ravalé sa tristesse, masqué le tout d’un sourire pour doucement hocher de la tête.
Les premiers mois étaient durs, entre son père qui s’isolait un peu plus chaque jours et tout ce qu’elle faisait à la maison . La peur lui rongeait les tripes, la peur que son père se laisse aller, la délaisse à cause de son chagrin. Cette peur ne faisait que s’accentuer alors qu’elle se pliait en quatre pour l’aider.

Un éclat timide entre les herbes et les fleurs qui bordaient la forêt non loin de chez elle. C’était de toute beauté, elle ne pouvait en décrocher son regard. Elle l’attrapait au creux de ses mains pour la voir de plus près. Tout semblait comme si silencieux autour d’elle d’un coup. Seuls ces murmures dans sa tête se faisaient entendre, ces paroles qui résonnaient dans sa tête s’étaient comme envolées, impossible à retrouver. Mais elle avait accepté. Quelle bonne enfant.
Les enjeux de ce pacte, elle ne les connaissaient que trop bien. Il y avait pourtant ce besoin irrépressible d’aider son père, de lui faire remonter la pente. Presque vital, un besoin brûlant qu’il fallait à tout prit exécuter. Il y avait eu cette lueur, bien trop forte. Au creux de ses mains. Bien trop intense. Alannah fermait les yeux comme pour ne pas finir aveuglée.

C’était la deuxième fois qu’elle était prise d’effroi, qu’elle était paralysée de peur à ne plus pouvoir en faire bouger le moindre membre. Cette peur qui la scellait au sol, qui refusait qu’elle bouge ne serait-ce que d’un poil. Son cœur s’emballait, battait bien trop fort dans sa poitrine. Retentissant comme un tambour. Fascinée et effarouchée devant cette créature qui sortait de son imaginaire. Un air austère sur le visage de cette forme humanoïde, c’était elle sa gardienne. Alannah connaissait tout cela, pourtant, elle était effrayée de cette chose nouvelle pour elle.
Se demandait si elle pouvait ressentir sa peur alors qu’elle observait ses traits tirés en une expression sévère. « Je suis Caireann, ta gardienne. » Avait-elle simplement dit. Cela sonnait comme un soupir, de l’exaspération. La gardienne la regardait des pieds à la tête, voilà donc qui était la personne à qui elle était liée. Une pauvre fillette simplement perdue. Il y avait comme, une déception sur le moment. C’était quelque peu blessant.
Mais elle était prise d’horreur aussi par cette réalisation soudaine. Pour ce qu’elle avait accordé pour acquérir ces pouvoirs. C’était trop tard pour faire marche arrière. Mais que dira papa ? Penseras-t-il que je voulais l’abandonner ? Il va repenser à maman, c’est sûr. Toutes ces pensées, ces questions s’entrechoquaient dans sa tête, elle n’y avait pas pensé plus tôt. Malheur. L’idée de mourir jeune la terrifiait bien plus que cet être sorti de son imaginaire. « Qu’ai-je fais ? » songeait-elle.

Contrairement à tout ce qu’elle songeait il n’avait rien dit. Pas un mots sur cela mais il n’avait pas l’air déçu dans le regard. Il s’était perdu quelques instants avant de revenir à lui, un sourire bien plus étincelant, bien plus lumineux qu’il n’aurait pu arborer durant ces dernières années. « Excuse moi ma chérie, tu t’es démenée pour nous et j’ai complètement délaissé le reste. » Alannah ne se sentait que mieux de le voir enfin en paix, c’était comme enfin revenir à la maison. Elle qui craignait qu’il ne soit d’avantage attristé de son pacte, il ne s’était jamais vraiment exprimé sur le sujet, mais elle ressentait qu’il était fier d’elle quoi qu’elle fasse. C’est ce qui l’importait le plus, qu’il ne sombre pas d’avantage.

« Ce ne sont que de mauvais rêves que tu as eu. Il y a des choses qui sont finies. » Caireann marquait une pause avant de reprendre. « Mais d’autres te suivront toute ta vie, ne l’oublie pas. » Elle savait très bien le sous-entendu glissé là-dedans. Memento Mori. Elle se contentait de se mordre les lèvres et acquiescer sans mots dire. Ça n’était pas la peine d’en dire plus avec la gardienne. Il était temps de refermer les yeux et se rendormir.