On a hill top, on a sky-riseLike a first born child, at full tilt and in full flight ; defeat darkness, breaking daylight, the sun will shine
MUSIQUE.Orgues.
Échos accrochés au bât du clocher, mélodie atone, graves envoûtés.
Midi. Midi sonné depuis le haut de la ville, au-dessus des gondoles et des couleurs du marché – pâles, air de seringue anesthésique dans la foule commune des étales blanches.
Midi, oui. Il est midi, à Majoris.
Et les venelles de la ville défilent toutes devant lui, identiques de mille bruissements, parcourues de foules endiablées. D’années folles. En silence Azalys tourne au coin d’une ruelle, atteint enfin la place qu’il recherche depuis dix minutes déjà, puis s’aventure dans les aléas de la brocante. L’Enfant marche, caracole entre les étales, goute le son de l’asphalte sur ses doigts, la mélancolie d’un gratte-papier à son oreille. Enferme les araignées dans son cœur, les doutes militaires et les souvenirs d’enfants pour profiter de l’instant présent. Imagine l’écho de l’océan, au loin. Baisse un peu le son de la mer et recommence à flâner, enroulant des étoffes achetées autour des poignets comme des tiares, des couronnes de fleur.
Seul dans la foule, Azalys observe tout.
À la recherche d’une bonne trouvaille, de quelque chose à acheter –
il a l’esprit à l’inutile, ce matin –, caracole entre les étages comme une pie joyeuse, pose ses doigts sur les verres édentés et les étoffes coiffées d’oranges un peu sur-orientaux (une couleur «
jamais vue sur la Terre », que clament les marchands, bien que l’Enfant n’y croit qu’à moitié.) Allongée sur son épaule, les griffes accrochées à sa veste molletonnée et les ailes paresseusement étendues comme des cristaux en murano, Dahlia observe elle aussi – suggère parfois, quand elle aperçoit une trouvaille malheureuse, miséreuse curiosité de quelques minutes avant que leur attention ne se brouille à nouveau. La petite créature lui indique un petit jouet solaire, un cheval « électrique », laqué de cèdre, soi-disant capable de bouger une jambe lorsque les nuages ne constellent pas le ciel. Puis une babiole semblable à une bille, d’une couleur semblable à ses iris, que l’Enfant écarte avec négligence dans un bruissement de cœur.
L’Enfant est songeur ; pense avec négligence à ce moment où il retournera à la caserne, à mi-chemin entre les odeurs printanières d’Idye et les clameurs de Majoris, les grands cœurs de métal étendu comme des porte-drapeaux au-dessus de la ville. Confond la chaleur du soleil avec les froideurs des étoffes qui glissent sous ses doigts. Vole quelques secondes une écharpe entre les doigts d’une femme, avant de la jeter à nouveau sur l’étale. Flâne, alors qu’il ne devrait pas flâner, comme il se murmure, libre de ses obligations pour quelques heures qu’il avait volées sur le dos d’une chevauchée plus rapide (il ne devait rentrer qu’avant la demi-lune, ce soir), amusé à re-découvrir à chacune de ses visites la vieille cité mécanique, et les étales débordantes de curiosités, de trouvailles inutiles, de fleurs en crépon et de faux oiseau cracheurs d’herbe.
Abandonné à sa contemplation, l’Enfant se glisse dans la foule, virevolte et s’y transparaît, léger comme une rivière ; mais, alors qu’il observe une breloque posée sur une étagère, aux contours violets tranchés comme l’épine d’un corail, il sent une masse géante le percuter, un homme de grande taille. Azalys s’éloigne un instant en se massant le crâne, le pas un peu incertain ; lève ses yeux vers le géant alors qu’il retrouve son équilibre, un instant accroché au bras hâlé de soleil d’une jeune femme avant de s’éloigner de la rousse.
Il observe le visage désolé, reste perplexe un instant.
Ah. Il le connaît.
Il le connaît bien, même. — Oh merde... est-ce que ça va ?
L’enfant retrouve son équilibre, porte une main hésitante jusqu’à ses tempes ; dénoue un hématome sur son poignet pour se masser les paupières, alors que ses iris absinthes observent le visage de l’inconnu. Oui, la coupe en épis de blés, les brosses longues sur les joues, la mâchoire carrée, les épaules droites – et bien plus proches du ciel que les siennes –, il les connait.
— Par Idye, Wade, je savais que t’avais la tête dure mais c’est pas que la tête apparemment… Bon dieu ces muscles, waow, t’es fait en métal en fait, c’est ça ton secret ? Puis si tu voulais attirer mon attention, il y avait d’autres moyens que de me rentrer dedans tu sais…L’Enfant se frotte une seconde le crâne, égare la main – et l’esprit frivole – dans ses mèches blondes, en murmurant quelque chose comme «
Azalys 0 – L’armoire à glace, 1. » Puis il pose sa main sur le poignet du Géant pour le tirer un peu à l’écart de la foule. Songe délié quand l’océan file sur le sol, se rappelle à lui dans le bâillement de Dahlia, qu’Azalys entend à peine au travers du tissu fin de la sacoche.
Une fois dissimulés entre deux étales, à l’abri de la foule et des mains accrocheuses, l’Enfant murmure :
— Tu viens pour trouver des babioles intéressantes ? J’ai déjà fait le tour, il n’y a pas grand-chose ici… Enfin, rien qui ne puisse t’intéresser je crois. Limite j’en ai plus dans ma sacoche. D’ailleurs parlant de ça…Tu vas par où ?