Comme toute les sœurs, les miennes se sont souvent demandées si nous étions bien de la même famille. Elles sont calmes, aimables, prudentes et ont un sens de la négociation qui m'impressionnera toujours. Et moi, je suis tout le contraire, peut-être parce que je tiens davantage de mon père que de ma mère. À l'image de mon paternel, j'ai toujours suivi mes intuitions, agi comme bon me semble sans tenir compte de l'avis des autres. D'ailleurs, si quelqu'un ose me donner un ordre, je ferai le contraire par défi.
S'il y a un problème, je le dis.
Si quelque chose me dérange, je le dégage.
Si quelqu'un m'énerve, je fais en sorte qu'il ne s'approche plus de moi.
Les gens ont tendance à ne pas dire le fond de leurs pensées de peur de froisser leur interlocuteur, mais c'est un détail dont je ne me soucie pas. Tout se passerait beaucoup mieux si chacun disait ce qu'il pensait, et mon honnêteté peut parfois passer pour de la méchanceté auprès de ceux qui ne me connaissent pas. Mes amis, quant à eux, savent qu'il n'est pas prudent de me chercher des noises car j'ai tendance à m'emporter très facilement, surtout lorsqu'il s'agit de compétition. Mais que voulez vous ? Je suis une compétitrice dans l'âme, qui adore gagner et prouver qu'elle est la meilleure. Je ne suis pas une mauvaise perdante pour autant, mais j'admets que, parfois, il m'arrive d'en venir aux mains si le résultat ne me semble pas correct (je ne suis pas très douée pour éviter les conflits). Mais ne croyez pas que je suis rancunière, au contraire : je pardonne très facilement à mes ennemis, ce qui ne veut pas dire que j'oublie ce qu'ils ont fait pour me contrarier...
Certains disent que je suis une fainéante qui passe sa vie aux comptoirs des différents bars d'Idye, mais ce n'est pas de ma faute si je n'arrive pas à garder un emploi ! Aucun de ceux que j'ai testé ne m'a vraiment plu et je cherche encore la profession qui me passionnera, raison pour laquelle je m'intéresse aux professions des personnes que je rencontre. Pourtant, j'ai des dizaines de qualités pour plaire aux employeurs : je suis volontaire, minutieuse, travailleuse... que demander de plus ? Je suis l'employée idéale pour ceux qui arrivent à supporter mon sale caractère !

"Une fille ! Une ravissante petite fille aux cheveux de feu"

C'est moi la gamine en question. Mon père aurait voulu un garçon pour lui apprendre à se battre, ma mère avait prié pour que son aînée soit une petite fille à qui elle pourrait apprendre la musique. Le destin a favorisé ma mère. Il y avait Val aussi, le Gardien de mon père, qui ne voulait pas que le couple ait d'enfant du tout. Eh oui, mon père avait eu la chance de réveiller le pouvoir d'une Eare, impliquant qu'il devait se coltiner un gardien pour le restant de sa courte vie. Quand j'ai été en âge de comprendre, je me suis mise à la recherche de ces pierres magiques, espérant moi aussi acquérir les pouvoirs d'une gemme. Je passais mon temps à en chercher quand mes sœurs sont nées, j'avais six ans. Des jumelles que j'emmènerais dans mes aventures quand elles seraient plus grandes. C'est également à cette âge-la que ma mère m'a appris à jouer de guitare, car elle tenait absolument que la fille aînée de la fabricante d'instruments la plus connue de la région connaisse les bases de la musique. Et comme les guitares - et tout ce qui s'en approchait - constituait la spécialité de la maison, il semblait logique que ce fusse le premier instrument qu'elle m'enseigna. Il fut suivi par de nombreux autres : de nombreux instruments à cordes mais aussi de la flûte, du piano... Mon enfance entière se résumait à des cours de solfège. Je n'aimais pas spécialement ça, je n'ai jamais vraiment compris l'emballement des gens pour la musique. Mais j'apprenais rigoureusement mes leçons car cela faisait plaisir à ma mère.

Quand j'eus quatorze ans, je ne voulais plus devenir mage, encore moins musicienne. Non, ce qui me passionnait vraiment, c'était la chevalerie : pouvoir me battre pour servir une cause. Mon père en a entendu parler et m'a appris le maniement de l'épée dans le jardin. Cela a duré quelques semaines avant qu'il ne confie mon apprentissage à Val. Son gardien n'aimait toujours pas les enfants mais moi, je l'adorais à l'époque. Je passais mon temps à le charrier et à le suivre parce que même s'il n'était pas des plus attentionnés, on ne s'ennuyait jamais avec lui ! Et en plus de cela, c'était un excellent combattant. L'entraînement fut intensif et à 17 ans, j'étais prête à rejoindre l'armée. Avant de prendre ma décision, Val m'a cependant demandé de passer un dernier test, un dernier défi qu'il me faudrait relever si je souhaitais vouer ma vie aux armes.

Il m'a demandé de tuer mon chat. Il m'a demandé de tuer Caprice. Il m'a dit qu'un soldat ne devait pas hésiter à abattre son épée quand son chef le lui ordonnait. Val détestait ce chat. Moi, je l'adorais. Je suis sûre que Caprice n'a gardé aucun souvenir de cet événement et a continué sa vie de chat comme si rien ne s'était passé. Mais pour moi, ce fut l'incident qui enterra mes rêves de chevalerie.

Après cela, mon père est reparti à l'aventure dans quelque contrée éloignée, emmenant avec lui son gardien que je ne voulais plus jamais revoir. Ma mère a continué de nous enseigner la musique et la fabrication des divers instruments de la boutique. Je n'y trouvais pas plus de plaisir qu'auparavant, mais je m'appliquais dans cette minutieuse tâche. Je n'ai jamais voulu reprendre la boutique familiale et pourtant, j'y travaille toujours à 26 ans. De nombreuses choses se sont déroulées entre temps : mon père est mort, une des jumelles est partie pour Majoris, j'ai occupé de nombreux postes sans être capable d'en garder un seul. Messagère, serveuse, palefrenière... J'ai dû revenir à la boutique que ma soeur dirige désormais avec ma mère, et je travaille pour elles, les aidant à confectionner de nouveaux instruments et tenant occasionnellement la boutique en l'absence des patronnes.

Je ne suis plus la petite fille naïve que fut dans ma jeunesse, celle qui rêvait de trouver une Eare pour créer la vie, celle qui se voyait chevalier, celle qui comptait trop sur les autres. J'ai appris à ne faire confiance qu'à moi-même et à vivre comme je l'entendais, sans avoir de compte à rendre à personne.